Alessandra Montagne une cuisine de cœur

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La cheffe Alessandra Montagne a toujours suivi son instinct, qui l’a mené à être à la tête de deux établissements dans le 13e arrondissement de Paris : Nosso et Tempero. Cette cuisinière brésilienne a à cœur de placer l’humain avant tout… avec un maître-mot: le naturel.

Alessandra Montagne
Alessandra Montagne. Crédit Alice Mariette.

Rien ne prédestinait Alessandra Montagne à la cuisine professionnelle. Née dans une famille modeste de Rio de Janeiro au Brésil, elle grandit en apprenant à devenir une femme au foyer. « Au Brésil, les filles sont élevées pour tenir une maison, elles doivent savoir faire le ménage et la nourriture », détaille-t-elle d’emblée. Au début de sa carrière, elle est institutrice, une des seules voies possibles pour elle. « Ce n’était pas du tout fait pour moi », glisse-t-elle.

À 22 ans, elle décide finalement de quitter un climat compliqué dans son pays natal et arrive en France. Elle commence par apprendre la langue et devient rapidement la cuisinière attitrée des événements festifs avec ses amis. Elle adore inviter de grandes tablées dans son petit appartement et donner du plaisir grâce à la nourriture. « On me disait d’ouvrir mon restaurant, mais cela me paraissait impossible, pas en France, le pays de la gastronomie. » Elle enchaîne alors les petits boulots, avant d’occuper un poste d’assistante de direction.

Mais, la passion de la cuisine la rattrape. « J’ai commencé en proposant tous les dimanches un repas à 13€ pour les habitants du 13e. Je faisais ça, seule, avec mon conjoint dans notre petite cuisine, et nos copains assuraient la livraison à vélo. » Un peu plus tard, elle a l’occasion de remplacer un chef pendant une semaine chez des amis restaurateurs. « J’ai posé des congés pour tenter le coup, je ne savais pas gérer les bons de commande, ni comment m’organiser dans une cuisine professionnelle. » Mais, elle découvre la sensation unique du coup de feu. « Pendant le rush, on oublie tout, on flotte et j’ai tout de suite adoré. » Après cette expérience, c’est l’évidence. « À 32 ans, j’ai pris le chemin de l’école, j’ai senti que j’avais besoin de connaître les codes pour être légitime. »

Même si Alessandra Montagne est acceptée à Ferrandi Paris, elle préfère le lycée hôtelier Jean Drouant (Paris, 17e). Elle en sort major de promotion et enchaîne avec un CAP pâtisserie. Elle se rapproche alors de son rêve d’ouvrir son propre restaurant. Avec toutes ses économies, elle rachète, en 2012, un ancien traiteur chinois du 13e arrondissement. Faute de financement suffisant, elle refait tout de ses propres mains avec son ex-mari et des amis. « Je voulais proposer une cuisine simple, de marché, avec des produits frais et locaux, et même faire moi-même la cueillette. »

Tempero (« épices » en portugais) ouvre en 2012, sans aucune publicité. « Le premier jour, j’ai vu la queue devant le restaurant, je ne pensais pas que c’était pour nous ! Je me souviens encore du visage de la première cliente. C’était la première fois que je servais une personne qui n’était pas des amis ou des voisins. Elle m’a dit que c’était délicieux et c’était la plus belle chose au monde. » Même si l’établissement ne compte qu’une vingtaine de couverts, les fruits de la cueillette ne suffisent pas à remplir les assiettes. « J’ai alors commencé à travailler avec des producteurs du coin, en agriculture bio ou raisonnée, ce message a beaucoup porté à l’époque. »

Huit ans plus tard, Alessandra Montagne voit plus grand et achète un local « brut de béton ». Situé le long de la promenade Claude-Lévi-Strauss, toujours dans le 13e arrondissement. Elle veut y loger son nouveau restaurant, Nosso. Mais mars 2020 arrive, et la crise sanitaire freine violemment son projet. « J’avais vendu Tempero, je n’avais pas le droit au chômage partiel, car j’étais gérante, et les travaux se sont arrêtés. » Pendant cette période difficile, elle a dû travailler dans d’autres secteurs pour s’en sortir : une « parenthèse » qu’elle met volontiers derrière elle.

Enfin, le 9 juin 2021, Nosso voit le jour. « Je pensais ouvrir un bistrot, un peu dans la continuité de Tempero, mais en plus grand [45 places, NDLR], mais finalement j’étais un peu perdue, je voulais faire mieux. » Elle a alors senti un manque de technique et a été bloquée par un plafond de verre. En toute humilité, elle demande de l’aide à ses pairs. « Yannick Alléno et Alain Ducasse m’ont tout de suite répondu et m’ont dit de venir à leurs côtés en cuisine. » Des expériences qui lui ont beaucoup appris et inspiré de nouvelles façons de faire.

Elle embauche ensuite un chef exécutif et assume désormais de proposer du gastronomique chez Nosso, avec une formule du midi à 38€ et un menu Découverte en cinq séquences à 72€, le soir. Elle concocte une cuisine d’instinct, centrée sur les produits bruts et de saison, teintée de touches brésiliennes. En témoignent ses coxinhas (croquettes au poulet) et son pao de queijo (petit pain au fromage), ici servi avec du caviar, deux recettes phares de son enfance.

L’antigaspillage tient également à cœur à Alessandra Montagne. Elle a par exemple mis au point un plat de homard, piment et mucilage de cacao, cette pulpe blanche contenue dans les fèves, souvent destinée à la poubelle. Et comme elle veut aussi proposer une cuisine accessible à tous, elle a ouvert cette année un nouveau Tempero, juste en face de Nosso. Une épicerie-cantine-cave à manger, d’une quarantaine de couverts, avec des prix abordables et des recettes simples.

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