André Le Letty : le bistronome de Montmartre

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Passé par les grandes brigades parisiennes, mais également par les navires de croisière, cet enfant du pays bigouden s’est lancé il y a près de 30 ans dans la bistronomie. Après avoir connu le succès à l’Anacréon et à l’Agassin, il fait aujourd’hui le bonheur des Montmartrois au Bistrot du Maquis.

André Le Letty
André Le Letty. Crédits : DR.

Peu de cuisiniers peuvent se vanter d’avoir travaillé pour trois des figures majeures de la haute gastronomie parisienne de la seconde moitié du XXe siècle ; à savoir : Claude Terrail (La Tour d’Argent), André Vrinat (Taillevent) et Marcel Trompier (La Marée). André Le Letty affiche ces trois restaurateurs de légende sur son impressionnant CV. Il estime que « Marcel Trompier était le plus dur et le plus rigoureux« . Il se souvient aussi d’André Vrinat, attentif au moindre détail : « Je vérifiais les arrivages dans la cour. Un matin, il faisait très froid, je me suis contenté de peser une caisse de poissons sans en vérifier le contenu. Un peu plus tard, André Vrinat m’a convoqué. Sur son bureau, il avait posé un sac plastique contenant un des poissons qui ne correspondait pas au calibre commandé. »

Avec le recul, André Le Letty estime que les reproches d’André Vrinat à son égard étaient fondés. De hautes exigences sont nécessaires pour atteindre l’excellence. Pourtant, il a conscience que son apprentissage à la dure, rythmé par des journées interminables, appartient à désormais un passé révolu. Depuis près de 30 ans, André Le Letty est devenu à son tour patron. Son premier restaurant, L’Anacréon, boulevard Saint-Marcel (Paris 13e), a connu un beau succès. Le chef breton faisait alors partie de ces jeunes issus des grandes brigades qui dans la mouvance d’Yves Camdeborde ont créé le courant bistronomique. En 2005, il a revendu l’Anacréon pour créer L’Agassin, rue Malar (Paris 7e), et en faire une adresse courue.

Pourtant, quelques années plus tard, touché par la maladie, il est contraint de revendre. Il perd même temporairement la vue. Travaillant comme consultant, il va progressivement recouvrer la santé. En 2013, complètement rétabli, il rachète le Bistrot du Maquis, rue Caulaincourt (Paris 18e), pour y proposer une carte de bistronomie. En salle, le chef peut compter sur son épouse, Shuqin, d’origine chinoise. Il l’a rencontrée alors qu’elle était cliente à L’Anacréon, adresse alors très prisée par la communauté asiatique. Depuis dix ans, le couple exploite avec bonheur le Maquis. Ce restaurant de 38 places affiche le plus souvent complet. Le rapport qualité-prix est attractif.

J'ai visité ainsi 47 pays.
André Le Letty, Patron du Bistrot du Maquis, Paris 18e

Le ticket moyen se situe à 25€ au déjeuner et 56€ au dîner. Dans ce cadre, le chef propose une cuisine élaborée et des recettes devenues rares, comme le canard au sang ou le lièvre à la royale. Ce Breton, originaire du pays Bigouden, est aussi un spécialiste des produits de la mer. Chaque vendredi, le Maquis reçoit les poissons entiers expédiés en direct des ports bretons.

Un Breton à Paris

André Le Letty n’a pas oublié ses débuts comme apprenti à l’âge de 15 ans à l’hôtel du Port, au Guilvinec (Finistère). « Certains week-ends, nous vendions jusqu’à 100 kg de langoustines, se souvient-il. Lorsqu’elles sont vivantes, c’est incomparable. Autrement, je préfère ne pas les cuisinier. » Il a tout connu dans sa carrière. Après des saisons en Suisse, il a travaillé dans un établissement étoilé par le Michelin, l’Hôtel de la mer, à Saint-Guénolé. « C’est le patron, Donatien Gloaguen, qui m’a permis de m’installer à Paris, rappelle-t-il. En arrivant dans la capitale, j’avais déjà ma chambre, avenue Foch et un poste, chez Prunier Traktir. » C’est à partir de là qu’il va se faire une place dans les brigades parisiennes et devenir notamment le second de Manuel Martinez à la Tour d’Argent.

Il va pourtant quitter ce secteur afin de diriger les cuisines du restaurant de direction d’Havas, mais très vite, il s’ennuie et n’a qu’une hâte : retrouver l’adrénaline des grandes brigades au Royal Monceau sous les ordres de Gabriel Biscaye. Parallèlement, il cherche aussi à acheter un restaurant dans la capitale. « Au dernier moment, la signature n’a pas eu lieu, raconte-t-il, j’ai accepté un poste de chef dans un navire de croisière pour six mois. Finalement je suis resté quatre ans dans la compagnie. » Appréciant son talent, l’armateur va en effet lui demander de superviser les cuisines de 10 bateaux. « J’allais d’un navire à l’autre, se remémore André. J’ai visité ainsi 47 pays. Mais travailler ainsi tous les jours de 6 h à 2 h du matin, c’est épuisant. J’ai fini par revenir en France. »

C’est ainsi qu’André Le Letty a finalement volé de ses propres ailes à Paris, à L’Anacréon, à L’Agassin et aujourd’hui au Bistrot du Maquis. À 63 ans, il estime entamer sa dernière ligne droite. Si sa passion pour le métier reste intacte, la fatigue commence à se faire sentir au bout de très longues journées de travail. Le chef ressent également avec cruauté le manque de personnel qui le contraint à être en permanence sur la brèche. Il considère ainsi sa carrière en cultivant la nostalgie de l’époque où un feu sacré brûlait en cuisine.

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