Les ambassadeurs du terroir de l’Aubrac

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Autour de Laguiole, les agriculteurs et artisans de bouche cultivent un fort lien avec les tables de la capitale, où les Auvergnats de Paris mettent en avant ce terroir. Ce qui était au départ un geste de solidarité de leur part s’est mué au fil du temps en véritable atout, à l’heure où les consommateurs recherchent des produits authentiques.

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Image d'illustration. Crédits : Maxime Authier-ODG Laguiole

La nostalgie du pays reste très forte chez les Auvergnats de Paris. Génération après génération, les exploitants de cafés, restaurants et brasseries parisiens – issus du Massif central – maintiennent un lien fort avec leur clocher. Cet été encore, ils seront nombreux à retrouver leurs villages lors des courtes périodes de fermetures de leurs établissements. Cet attachement aux racines est aussi perceptible sur de nombreuses cartes parisiennes qui font la part belle au terroir. Une tendance de plus en plus forte alors que les produits sous les signes de qualité sont plébiscités par les consommateurs. L’Aubrac est particulièrement bien pourvu en la matière. Dans la ville phare du territoire aveyronnais, à Laguiole, on ne fabrique pas que des couteaux. L’élevage bovin alimente largement les tables de la capitale avec la viande d’aubrac, tout comme le fromage laguiole et son inséparable aligot.

Au-delà des produits traditionnels, de nouvelles spécialités sont venues plus récemment se greffer, comme la bière, avec la brasserie d’Olt à Saint Geniez d’Olt ou le whisky de la distillerie Twelve à Espalion. Il faut enfin ajouter que certains acteurs parviennent à maintenir un pied à Paris et l’autre en Aubrac. Des restaurateurs parisiens réputés, comme Christian Valette, Eddy Benezet ou Philippe Solignac, détiennent des exploitations agricoles sur le plateau. D’autres investissent dans des entreprises sur le secteur. Ainsi, les produits arrivent en abondance dans la capitale. Et il faut reconnaître que l’effet vitrine de ce débouché a permis de maintenir, voire de développer, une agriculture extensive sur ce plateau perché à près de 1.000 mètres d’altitude. Laguiole est ainsi devenu un bourg actif où s’épanouissent de nombreuses activités, comme le tourisme, qui bénéficie d’un attrait non négligeable. Le partenariat entre les Auvergnats de Paris et les habitants de l’Aubrac s’avère largement profitable.

Casimir Conquet. La boucherie laguiolaise des restaurants parisiens

À l’instar de son père, Lucien, Casimir Conquet est devenu une figure de l’Aubrac à Paris. Des marchés de l’Aveyron au Salon de l’agriculture en passant par les brasseries, sa bonhomie, sa jovialité et son sens de l’humour, sont devenus familiers pour de nombreux habitants de la capitale. La boucherie familiale est une entreprise qui compte à Laguiole. Entre le siège aveyronnais et l’annexe de Pierrefort (Cantal), spécialisée dans le gibier et la découpe, l’entreprise emploie 60 salariés. Un beau chemin parcouru depuis 1950, date où le grand-père de Casimir a ouvert une modeste boucherie à Lacalm, avant de transférer les activités à Laguiole en 1968. Arrivé aux commandes, Lucien a largement développé les ventes vers la capitale qui représentent aujourd’hui 50% de l’activité de l’entreprise. Entre 60 à 80 clients parisiens sont ainsi livrés chaque jour de la semaine, grâce à une logistique mise en place avec les transports Galtier-Galdis, à Roquefort.

Vers 22 heures, un semi-remorque quitte Laguiole pour Paris chargé des spécialités de Conquet et de produits d’autres opérateurs locaux. Vers 4 heures du matin, le dégroupement commence sur Rungis et la livraison à Paris s’échelonne entre 7 et 12 heures. Casimir, 39 ans, est désormais prêt à prendre dans un an la succession de son père Lucien qui entamera alors une « retraite active ». Mais c’est une véritable famille qui conduit les rênes de la boucherie familiale. Alors que Lucien est associé à son frère André, Casimir conduira à l’avenir l’activité avec sa soeur, Justine, mais aussi avec ses cousins : Alexandre, Nathalie et Patrice. Également bien implantée sur la région, la boucherie commercialise 500 tonnes de viande et de charcuterie par an. Ce succès représente, selon Casimir, « le résultat de 25 ans de travail sur Paris ». Il est aussi le fruit de hautes exigences qualitatives. La maison travaille exclusivement des animaux de race aubrac, et les porcs sélectionnés pour la charcuterie sont tous d’origine locale.

Yves Soulhol. L’aligot, le relais de croissance de Jeune Montagne

Le fromage de Laguiole était autrefois fabriqué sur les burons du plateau, directement après la traite. À la fin des années 1950, les candidats pour exercer cette activité rude et isolée étaient devenus très peu nombreux. C’est alors qu’une poignée d’éleveurs réunis autour d’André Valadier, paysan-éleveur, entrepreneur, militant et homme politique de l’Aubrac, a imaginé de faire évoluer ce savoir-faire sans concéder de baisse de qualité. Est née ainsi, en 1960, la coopérative Jeune Laguiole. L’année suivante, le fromage obtenait l’AOC. La coopérative collecte chaque jour le lait dans les exploitations, puis le transforme dans la foulée. Un processus qui permet de continuer de travailler avec du lait cru. Mais une équation économique demeurait… Une vache aubrac est non seulement rétive à la traite, mais, de surcroît, elle produit peu : à peine cinq litres de lait par passage. Un maigre résultat alors que pour fabriquer une meule de 50 kg de laguiole, 500 litres de lait sont nécessaires. Aussi, pour atteindre la rentabilité, les adhérents se sont réorientés vers des vaches de race simmental, qui assurent des lactations quotidiennes de 15 à 20 litres, avec un lait bien adapté à la transformation fromagère. Un rameau de vaches laitières de race aubrac a toutefois pu être préservé et la production de ces animaux est intégrée dans la fabrication du fromage.

À terme, chaque éleveur adhérent pourront intégrer une ou deux aubrac dans son troupeau. Suivant le principe édicté par André Valadier, selon lequel « la tradition sans modernité est stérile et la modernité sans tradition peut être aveugle », les éleveurs de l’Aubrac ont fait mieux que survivre. Aujourd’hui, les 70 adhérents produisent 700 tonnes de laguiole par an. La bonne commercialisation de ce fromage leur offre une rémunération de 650€, alors que la moyenne nationale tourne autour de 450€. C’est désormais Géraud Valadier, fils d’André, qui préside cette structure dirigée depuis 2018 par Yves Soulhol. Ce dernier a relancé les ventes de laguioles, qui avaient un peu baissé avant son arrivée. Il a aussi développé le relais de croissance de l’aligot. Ce plat local mélange pomme de terre et tomme fraîche. Environ 3.000 tonnes d’aligot sortent chaque année des ateliers de la coopérative, soit à travers les ventes de tommes, soit en aligot en barquettes prêtes à l’emploi. Ce produit est utilisé par les restaurants parisiens. Pour populariser la consommation de ce plat, une équipe anime des opérations de ventes autour d’événements. Chaque année, la transhumance au niveau local permet de vendre 10.000 portions. Mais des événements s’organisent, à Paris ou dans d’autres villes. Désormais, Laguiole Jeune Montagne veut conquérir les villes de l’ouest de la France où elle est encore peu présente. Elle lorgne du côté de la restauration rapide et réfléchit, en partenariat avec la maison Conquet, à la création d’une barquette d’aligot saucisse facile à consommer.

Christian Valette. Restaurateur et éleveur

Désormais, Christian Valette est essentiellement Laguiolais et réside le plus souvent dans sa ferme des Vialars, située entre Laguiole et Cassuéjouls. Il passe ses journées à travailler dans l’exploitation agricole, et ne se rend qu’une fois toutes les deux semaines à Paris. Ses fils veillent sur ses établissements La Maison de l’Aubrac (Paris, 8e) et les Aubrac Corners (Paris, 2e et 13e). Ce restaurateur parisien, qui a passé sa petite enfance dans l’Aubrac, n’a jamais goûté l’ambiance de la capitale. Et n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il arpente les grandes plaines de ce haut plateau, au milieu de ses bêtes. Il a même passé un diplôme d’agriculture avant de remonter à l’âge de 22 ans à Paris, pour prendre avec son épouse, Élisabeth, la suite de ses parents, installé au Petit Berry (rue de Marbeuf, Paris, 8e). Christian Valette a transformé le modeste tabac en Maison de l’Aubrac, un des restaurants de viande parmi les plus réputés de la capitale. Il se félicite d’avoir écouté sa mère qui lui disait « qu’avec un café à Paris », il pourrait s’offrir une ferme en Aveyron, « mais que l’inverse n’est pas forcément vrai ». Il a fait mieux que cela, et son succès de restaurateur a financé ses rêves d’agriculteur.

Au début des années 2010, il investit dans sa ferme des Vialars pour construire deux immenses hangars dédiés à l’élevage. Très automatisées, équipées de 5.000 m2 de toitures solaires, ces structures accueillent d’une part les 300 vaches allaitantes de la ferme. De l’autre côté, 300 vaches achetées aux éleveurs de la région subissent une phase d’engraissement et de finition, dont les méthodes sont calquées sur le cahier des charges de l’association Bleu Blanc Coeur. En créant cette activité, Christian Valette souhaitait valoriser le travail des éleveurs de la région qui voyaient en majorité leurs bêtes partir en Italie pour y subir un engraissement final. Grâce à cette initiative, le restaurateur parisien a pu créer une filière qui a largement contribué à l’approvisionnement des restaurants parisiens en viande d’aubrac. Il reconnaît néanmoins qu’avec la crise inflationniste, il a dû réduire provisoirement ses ambitions à la baisse, et limiter l’activité de l’atelier d’engraissement à l’approvisionnement de ses propres restaurants parisiens : « La hausse des coûts de l’énergie, et surtout du fourrage, a provoqué une augmentation de 40% du prix de revient ». On retrouve aussi Christian Valette du côté d’Aligot Express, une entreprise qui commercialise l’aligot sous toutes ses formes en restauration et propose des machines à fabriquer l’aligot. Non seulement il était à l’origine de la création de la société, mais demeure aujourd’hui un de ses actionnaires de référence.

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