Juliette Ju, sur un fil entre la France et la Corée

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Dans son restaurant Octave, Juliette Ju s’est donné deux missions: celles de valoriser à juste titre la gastronomie coréenne de son enfance et de rendre hommage à la cuisine française. Son itinéraire de vie, loin d’être linéaire, l’amène désormais à jouer les funambules pour faire émerger une cuisine d’auteure qui s’inscrit dans aucune case.

La cheffe Juliette Ju
La cheffe Juliette Ju. Crédit : Laura Duret.

Demander à Juliette Ju de décrire la cuisine coréenne, c’est en quelque sorte l’inviter à l’autoportrait. Équilibrée, puissante, réfléchie et conviviale. Avec ces mots choisis, la cheffe dépeint le savant mélange qui fait son identité, à la fois enracinée dans sa ville natale en Corée du Sud et dévouée à la cuisine française. Dans son restaurant Octave (Paris, 16e), elle mène ce jeu d’équilibriste depuis 2021. « Lorsque j’ai pensé le concept, je voulais réussir à proposer une cuisine gastronomique ni tout à fait coréenne ni trop peu française. Une alliance entre les goûts mais surtout les techniques françaises, et le côté plus instinctif et nuancé en goût de la cuisine coréenne. »

Sa trajectoire l’a en effet conduite dans de belles maisons parisiennes, notamment auprès d’Éric Fréchon et de Jean-François Rouquette au Park Hyatt (Paris, 2e). Une collaboration dont elle tire toujours beaucoup de fierté et de reconnaissance : « Jean François Rouquette est une personne très humaine, j’ai beaucoup de respect pour lui. » Rien ne la prédestinait pourtant à faire sa vie en France. Dans le sud de la Corée du Sud, dont elle est originaire, elle commence par des études de médecine jusqu’à ce que, quatre ans plus tard, un déclic la fasse changer d’avis. Ce sera la cuisine, comme sa mère, propriétaire d’un restaurant depuis près de 50 ans. Et en France ? « Quand je suis arrivée, je savais seulement dire trois mots : un, deux, trois ! Mais je voulais apprendre la cuisine et, pour moi, il n’y avait pas d’autre endroit possible que la France », confie Juliette Ju. Comme il faut bien débuter, elle suit une première formation à l’Institut Le Cordon Bleu (Paris, 15e) : « À la sortie, je ne savais pas encore faire grand-chose, alors je suis allée à Ferrandi pour un cursus supérieur. »

J’ai réalisé que j’étais avant tout une cuisinière.
Juliette Ju, Cheffe du restaurant Octave (Paris, 16e )

Elle multiplie ensuite les expériences dans les cuisines de la haute gastronomie, puis fait le choix de quitter les brigades pour enseigner. Femme de contrastes, autant attachée à la décontraction qu’à la rigueur et à la précision, elle se découvre un potentiel. « Mon tempérament m’a permis de m’affirmer dans un monde d’hommes, tout en restant à l’écoute. Ce n’est pas parce que je suis cheffe que je dois casser les gens. », estime Juliette Ju. Sa présence est solaire et sa joie de vivre communicative. On a bien du mal à l’imaginer dans le carcan imposé par la haute gastronomie. Là encore, Le Cordon Bleu lui permet de tracer son chemin durant sept ans. « J’avais besoin d’une transition pour vivre ma vie personnelle différemment. Au même moment, j’ai démarré le stylisme culinaire. C’était amusant, mais j’ai vite été frustrée de ne pas pouvoir intervenir sur l’aspect cuisine. Au fond de mon cœur, j’ai réalisé que j’étais avant tout une cuisinière. Je devais faire ma cuisine et arrêter d’enseigner ! »

Alors que le Covid-19 handicape toute l’économie, elle signe pour Octave : « J’ai dû tenir un an et demi avant de pouvoir ouvrir ! » Un parcours du combattant qui s’est transformé en chemin initiatique. « J’ai connu un vrai problème d’identité, pour savoir ce que je voulais montrer. Fallait-il que je fasse de la cuisine française avec une touche soi-disant franco-coréenne ? Non, pour moi, c’était trop simple. Et, d’un autre côté, je ne voulais pas tomber dans la cuisine coréenne traditionnelle. Pour rendre hommage à mon titre de cheffe, je devais avoir un niveau d’exigence assez haut, pour valoriser mon parcours en cuisine française et mon identité coréenne. Je voulais qu’on reconnaisse la cuisine de Juliette. » Ce sera donc 70 % coréen, 30 % français. « J’insère la cuisine française de différentes façons : par des techniques, par des produits. Pour travailler chez moi, il faut avant tout connaître les méthodes de la cuisine française, ajoute-t-elle. C’est plus facile d’appréhender les notions d’assaisonnement de la cuisine coréenne lorsqu’on ne les connaît pas. »

Sa cuisine est toujours très influencée par celle de sa mère, qui produit et lui expédie certains incontournables comme l’ail noir ou les algues sauvages séchées. « J’ai découvert la cuisine en l’observant. Petite, j’étais son commis. Ma manière de cuisiner est fortement influencée par la sienne, mais aussi par les ingrédients qu’elle utilise. Son kimchi très rouge et généreusement épicé est typique de notre région. » En recherche permanente d’un équilibre qui lui convienne, Juliette Ju joue un rôle dans la perception de la cuisine coréenne en France. « Elle souffre malheureusement d’une mauvaise image. Les gens s’attendent généralement à une cuisine pas chère et pas très aboutie. J’essaie de l’élever au rang de la gastronomie. Quand les clients viennent à Octave, ce n’est pas pour ma cuisine en priorité. Ils ont vu que je suis passée par de grandes maisons. Ça rassure ! » La décoration de son restaurant, très sobre, contraste avec sa personnalité enjouée « pour inciter les clients à se concentrer sur les plats ». Ces derniers sont intégrés dans un menu en huit temps (95 €) le soir, et différents menus (dès 49 €) le midi. Rien n’est laissé au hasard dans l’univers de Juliette Ju.

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