Cuisiner les insectes

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Consommés dans de nombreux pays du monde, les insectes font une apparition timide dans l’alimentation des Européens. Intéressants d’un point de vue nutritionnel et environnemental, ils pourraient bientôt prendre de plus en plus de place dans les menus.

Soupe insectes
Avec leur goût neutre, les insectes peuvent s’adapter à de nombreux plats. Crédits : DR.

Quelques grillons goût moutarde sur une planche apéritive, une salade thaïe au vers de farine ou encore des cookies chocolat et crickets. Il ne s’agit pas d’un menu imaginaire, mais bien de mets proposés par certains restaurateurs de France. « C’est un ingrédient à part entière, un nouvel instrument pour les chefs, un peu comme si un peintre découvrait une couleur« , lance le chef Laurent Veyet d’Inoveat. Depuis six ans, il s’adonne à démocratiser l’entomophagie, autrement dit la consommation d’insectes. Dans son restaurant, qui fait aussi atelier de cuisine et boutique, situé dans le 2e arrondissement de Paris, il propose au grand public des insectes comestibles. « Lorsque j’ai commencé en 2016, je pensais que cela allait se développer beaucoup plus rapidement« , confie-t-il.

Mais les insectes n’ont toujours pas vraiment trouvé le chemin des assiettes des Français. En cause, certaines idées reçues sur ce produit peu connu. « La mauvaise image des insectes ne date pas d’hier, ce sont en fait les ennemis à abattre pour l’agriculture et ils sont considérés la plupart du temps comme des nuisibles« , constate Thomas Faucher, gérant et cofondateur de Futura Food, une entreprise dijonnaise spécialisée dans la vente d’insectes comestibles. Pour le chef Laurent Veyet, cette mauvaise presse n’a aucun sens: « Je prends souvent l’exemple du pigeonneau, que l’on retrouve dans les meilleurs restaurants de France, cela n’a rien à voir avec les pigeons qui sont dans les villes! De la même façon, nous proposons des insectes d’élevage, donc propres à la consommation, il n’y a rien de sale ou de mauvais, au contraire. »

La réglementation européenne n’a pas non plus aidé à démocratiser les invertébrés dans l’alimentation. Ce n’est que depuis le 1er janvier 2018 qu’ils sont considérés comme des aliments dans l’Union européenne, et actuellement seules trois espèces sont autorisées pour le marché de l’alimentation, alors que plus de 2.000 sont consommées ailleurs dans le monde. Le ver de farine et le criquet migrateur ont été approuvés en 2021, suivis par les grillons domestiques en 2022. « Jusque-là, il existait un flou juridique, les insectes n’étaient ni interdits ni autorisés, c’était donc compliqué de les commercialiser, on le faisait de manière plutôt marginale, maintenant c’est clair et cela va nécessairement accélérer le développement« , présente Julie Gervreau, présidente et cofondatrice Micronutris, entreprise pionnière dans l’élevage d’insectes pour la consommation humaine (depuis 2011), située près de Toulouse (31).

Un nouvel aliment

Si certains s’intéressent aux insectes dans l’alimentation, c’est parce qu’ils représentent de nombreux avantages. En premier lieu, l’impact écologique faible. L’élevage d’insectes comestibles, appelé entomoculture, produit en effet très peu de gaz à e et de serre, jusqu’à 100 fois moins que la viande. ‘Il s’agit d’espèce endémique française [présente exclusivement dans une région géographique délimitée, NDLR] et le cycle d’élevage est court, huit semaines pour le grillon et 12 semaines pour les vers de farine« , explique Julie Gervreau, dont la production mensuelle s’élève à environ 1 tonne. Par ailleurs, pour se développer, l’insecte n’a besoin que d’un espace limité, il ne produit pas de chaleur, il est peu consommateur de ressources et demande environ 100 fois moins d’eau qu’un élevage traditionnel.

Autre avantage : son taux en protéines élevé, environ 30% de plus qu’un steak haché. Il s’agit également d’une bonne source d’acides gras et de minéraux comme le fer, le calcium et le magnésium. « Les insectes sont très nutritifs, donnent en plus un bon sentiment de satiété et sont bien assimilés par l’organisme« , commente Laurent Veyet. Il revendique également l’origine française des insectes. « Ce sont des produits locaux, nous sommes en capacité de les élever et de les transformer, par exemple je trouve que les grillons de Savoie sont les meilleurs du marché« , glisse-t-il. Dans son restaurant, ouvert uniquement sur réservation, il intègre des insectes de l’entrée au dessert. « La clientèle est variée, mais recherche toujours une expérience« , mentionne-t-il.

Pour lui, il ne s’agit surtout pas de chercher à cacher les invertébrés, mais au contraire il veut les mettre en avant. Dans ses préparations, à l’image de son sablé aux vers de farine et au comté ou de ses tartelettes sablées aux grillons, l’insecte est bien visible. « Le goût de l’insecte est assez neutre, on peut retrouver un côté céréale, noisette ou crustacé également« , décrit-il, même s’il revendique une saveur qui leur est propre. De son côté, Thomas Faucher de Futura Food reconnaît qu’il n’est pas encore évident pour les chefs d’intégrer les insectes au menu. « C’est une prise de risque, ce n’est pas anodin, pense-t-il. Quand c’est fait, il faut l’assumer, ne pas le faire à moitié et le mettre en avant. » Pour mettre au point leurs produits, lui et son équipe n’ont pas souhaité s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger. « Nous nous adressons à un public français, qui n’a pas l’habitude de cet ingrédient, donc nous reprenons les codes de notre pays, en utilisant avec des marqueurs connus, comme le goût moutarde ou encore paprika« , explique-t-il.

Même son de cloche du côté de Laurent Veyet : « Les Français ne sont pas prêts à manger de grosses larves comme cela se fait en Asie ou en Afrique par exemple. » En termes de préparation, les solutions sont multiples, mais pour le moment l’UE n’autorise la commercialisation des insectes que s’ils sont déshydratés. Ils sont ainsi prêts à l’emploi et peuvent donner une texture intéressante aux plats. « Nous travaillons avec une salade bar qui offre la possibilité d’ajouter des crickets à la moutarde dans les préparations, cela apporte du croustillant et des protéines« , raconte Thomas Faucher. Avec son goût neutre, l’insecte peut aussi être utilisé pour marquer les esprits, afin de proposer un produit différenciant, dans les préparations sucrées et salées. Reste toutefois la question du coût, encore très élevé. Laurent Veyet indique trouver des produits entre 500 et 1.000 € le kg, auprès de différents fournisseurs. « Pour le moment, nous ne parvenons pas à faire baisser les prix, car la consommation reste trop confidentielle, mais cela va finir par réduire« , espère Julie Gervreau.

Malgré tout, la quantité utilisée par plat est minime, ce qui peut permettre de limiter les frais. Pour un apéritif, 5g de crickets, de larves ou de grillons peuvent suffire. Pour agrémenter une soupe ou une salade, 1 ou 2 grammes permettront d’obtenir du croustillant et un effet visuel. Laurent Veyet propose de son côté des menus avec davantage de quantité, environ 10% dans chaque plat et 30% pour sa galette aux vers Buffalo. Son menu dégustation (trois plats) coûte environ 90€. « Un autre avantage lorsque l’on cuisine les insectes est qu’il n’y a aucune perte, ils se consomment dans leur totalité« , assure-t-il. Encore faut-il que les clients soient prêts à manger des petites pattes des grillons.

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