Baisser en qualité ou monter les prix, le dilemme des restaurateurs face à l’inflation
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Avec les matières premières et l’énergie comme postes de dépenses conséquents, les restaurateurs font face de plein fouet à l’inflation actuellement en cours, causée notamment par la guerre en Ukraine. Entre répercussion sur les prix des plats à la carte, réduction des protéines ou encore respect de la saisonnalité des produits, les acteurs des CHR répondent de différentes manières à ce nouveau défi.
Comme tous les Français, les restaurateurs n’échappent pas à l’inflation actuellement en cours, accentuée par la guerre en Ukraine. 91 % des restaurateurs ont ainsi déjà constaté son impact sur leur activité, d’après une étude de TheFork réalisée sur les conséquences de la hausse des prix sur les comportements des consommateurs et l’activité des restaurants. Le sondage révèle également que plus de 68 % des restaurateurs ont ou comptent modifier leur menu en raison de l’augmentation des prix de certains produits.
Le chef Émile Cotte, propriétaire du restaurant Baca’v (Paris 5e), ressent particulièrement l’inflation au niveau des matières premières, dans tous les domaines. « Pour les légumes, les asperges par exemple, parce qu’elles sont élevées sous serres, chauffées au gaz. La pénurie d’huile s’ajoute à l’explosion des prix. Il n’y a que le poisson pour l’instant qui n’a pas augmenté mais nous allons être impactés. Heureusement que je travaille en direct avec le Limousin. Mais le problème est que nous ne pouvons pas faire de gros volumes. Et puis il y a le souci de la grippe aviaire. Il faut aujourd’hui se battre pour maintenir les prix. »
Un constat partagé par Nathan Helo, chef du restaurant Dupin (Paris 6e) : « Rien que sur le beurre, l’huile ou le vinaigre, ce sont des dépenses qui ont commencé à prendre 30, 40, 50, voire des fois 60 % du prix. L’augmentation du prix de l’énergie est moins importante comparativement à d’autres postes. » La hausse des carburants impacte indirectement le restaurateur. Celui-ci a vu plusieurs de ses producteurs avec lesquels il travaille en direct refuser à certains moments de monter à Paris effectuer des livraisons. « À cela s’ajoute la grippe aviaire.Tout a été tué en prévention. Donc la volaille, je ne la propose même plus et le canard on oublie », se désole-t-il.
« Augmenter de suite, c’est la facilité »
Une étude commandée par l’Umih révèle que 87 % des restaurateurs interrogés craignent de voir leurs marges être impactées par la conjoncture. 25 % d’entre eux ont ainsi déjà augmenté leurs prix à la carte. Le GNI a quant à lui commandé un autre sondage à CHD Expert. En ressort que 40 % des professionnels interrogés ont déjà augmenté leurs prix et 45 % envisagent de le faire dans les trois prochains mois. Une part substantielle des restaurateurs a décidé de sauter le pas et d’impacter à leurs clients la forte inflation en cours.
Malgré ces hausses de prix et les difficultés d’approvisionnement, Émile Cotte annonce qu’il restera dans le positionnement qui est le sien depuis l’ouverture de son restaurant. « Pour l’instant, nous ne changerons rien », assume le limougeaux. « Augmenter de suite, c’est la facilité, c’est une erreur. Respectons les clients », lance-t-il même, avant d’expliquer sa pensée : « Avec l’augmentation de leurs prix, les restaurateurs vont avoir une sensation de hausse de leur chiffre d’affaires avec une baisse de fréquentation sur six mois. Et pour récupérer les clients, c’est compliqué. Il est plus facile d’attirer un nouveau client. » ll se laisse seulement la possibilité de prévoir, « pour ceux qui le pourront », des suppléments sur certains plats et en conserver la majorité à des prix « accessibles ».
Je crois à cette idée d’ajuster à la demande des personnes, à leur nouvelle hygiène de vie
Raison pour laquelle le propriétaire de Baca’v évoque un choix limité et contraint. « Deux solutions s’offrent à nous. Soit baisser la qualité, mais nous ne le ferons pas. Soit réduire la protéine. Et ne pas changer les prix. C’est la portion à l’anglaise, explique-t-il. Aujourd’hui, les gens ont changé leur consommation. Ils prennent par exemple le vin au verre. Je crois à cette idée d’ajuster à la demande des personnes, à leur nouvelle hygiène de vie. Les anglo-saxons ont 10 ans d’avance, ils repensent les choses différemment. » L’ancien chef du Drouant (Paris 2e) propose ainsi de servir une pièce de viande de 140-160 g, au lieu de 200-220 g, et d’augmenter la garniture en légumes. « Les gens comprendront », assure-t-il.
Et s’agissant des légumes, Émile Cotte privilégie désormais ceux élevés en plein champ à ceux produits sous serres. En effet, ces derniers nécessitent de l’énergie supplémentaire et connaissent donc ces derniers mois une augmentation de leur coût de production. Le chef est alors prêt à patienter quelques semaines pour arriver à la pleine saison des légumes en question.
« Réduire la carte permettrait d’avoir un peu moins de perte », admet Émile Cotte, tout en avançant une autre solution : « Jouer sur le personnel. » Il appelle d’ailleurs de ses vœux un geste de la part de l’État. « Quand je vois ce que nous payons en Urssaf et en charges pour le personnel, qu’ils nous les allègent pour recruter, par exemple un apprenti », demande-t-il ainsi. Le chef a réussi à faire évoluer son ticket moyen de 45 € en mai 2021 à aujourd’hui 55 € le midi et 65 € le soir. Le résultat d’une multitude de « de petites techniques de vente additionnelle » sur lesquelles il peut compter durant cette période particulière.
Celui qui s’est vu décerner un Bib gourmand par le guide Michelin 2022 a ainsi choisi de proposer le vin à la ficelle. Dans les faits, au lieu de consommer un seul verre, ses clients en boivent deux, ce qui permet d’augmenter la note. Il souhaite également introduire une pratique qui a fait ses preuves dans les secteurs des transports et de l’hôtellerie : « Je ne vois pas pourquoi le yield management ne s’appliquerait pas à la restauration. À 19 h ou 22 h-22 h30, des horaires un peu plus calmes, obtenir 10 couverts supplémentaires pour combler le manque à gagner ferait du bien. » Ainsi, par une baisse des prix de sa carte aux horaires les plus creux, il pourrait augmenter le nombre de couverts effectués et in fine son chiffre d’affaires.
« Nous travaillons pour gagner notre vie »
Nathan Helo a choisi quant à lui une tout autre solution. « J’ai déjà répercuté depuis deux semaines l’inflation sur mes prix », indique le chef, qui a fait passer son menu déjeuner de 30 à 36 €. « Nous expliquons au client cette hausse mais elle n’est pas comprise par tout le monde. », admet le varois. « Cela nous embête. J’ai retardé au maximum les augmentations, mais nous travaillons pour gagner notre vie », précise le chef, qui rembourse depuis janvier son prêt garanti par l’État (PGE) souscrit pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, ce qui n’arrange rien à la situation actuelle. Il justifie ainsi sa décision : « Nous sommes un peu pris de tous les côtés. Tout augmente aujourd’hui, mais les salaires ne bougent pas. »
Néanmoins, répercuter la hausse des prix sur sa carte n’implique ni une augmentation déraisonnée, ni de sa marge. « Augmenter le moins possible et de manière juste », défend Nathan Helo. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de réduire les protéines présentes dans ses plats, en proposant plusieurs entrées végétales et des plats végétariens, parmi sa carte déjà réduite (quatre entrées, quatre plats, quatre desserts). Celui qui est passé par le groupe Rostang entend par ailleurs optimiser au maximum ses produits, pour avoir un minimum de pertes.
« Nous constatons que les restaurateurs ont d’abord choisi d’absorber l’augmentation des coûts, avec à peine un tiers d’entre eux qui ont pratiqué des prix plus élevés fin 2021, toutefois, ils vont devoir répercuter ces hausses à un moment donné », souligne François Blouin, président fondateur de Food Service Vision. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé Laurent Nègre, propriétaire de la Grille Montorgueil (Paris 2e), qui préfère attendre pour cerner la hausse : « L’inflation a l’air de perdurer. Nous ne l’avons pas encore répercuté mais nous commençons à y penser. Nous vivons un peu au jour le jour. D’ici un à deux mois, nous ferons un point pour mesurer l’impact réel. »
Food Service Vision avance que les restaurateurs pourraient augmenter leurs prix d’environ 5 %, avec naturellement des différences selon les produits. Pour le propriétaire de la Grille Montorgueil, cette hausse va sans doute s’élever à 10 %, même si rien n’est acté à ce jour. « Nous allons conserver nos coefficients et les répercuter avec une hausse à peu près générale, sur toute la carte. Mais il va y avoir des arbitrages », développe l’aveyronnais qui propose de multiples plats à base de viande, « ce qui est très cher à l’achat ». Celui-ci ne prévoit pas d’exonérer de hausse des prix les plats périphériques comme les entrées ou les desserts, prévoyant déjà des « prix d’attaque de l’ordre de 5 ou 6 € ».
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Laurent Nègre dresse un constat résumant toute la situation des CHR : « Tous les ans il se passe un évènement [les grèves des transports parisiens, la crise des Gilets Jaunes, la pandémie de Covid-19, NDLR]. Et en plus, les PGE débutent. Nous ne pouvons pas tout absorber. »