Des nouveaux codes

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Les habitudes de consommation évoluent et pourraient profiter à un plat en particulier : la salade. Longtemps déconsidérée, elle revient sur le devant de la scène, notamment par le biais de concepts de fast-food. Et pour la restauration traditionnelle aussi, elle apparaît désormais comme un potentiel différenciant. À condition de ne plus faire office de cinquième roue du carrosse sur la carte, avec une offre pensée autour d’axes clés, à l’instar de la satiété et de la gourmandise.

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Salad&Co accueille ses premiers franchisés en 2024. Crédit : DR

Il y a eu une mode de la salade César, de la Niçoise ou de la Caprese. Si ces grands classiques de la cuisine estivale ont eu leur heure de gloire, ils ne font plus autant recette. Les goûts des consommateurs ont évolué. Et le segment des salades en tant que plat n’a désormais plus rien à envier à d’autres en termes de créativité. Car leur grand atout, c’est qu’elles peuvent s’adresser à tous les régimes alimentaires. « On voit que le végétal devient un incontournable en restauration. On consomme 700 millions de salades par an. Mais la salade en tant que plat, ce n’est pas seulement du végétal, elle doit aussi répondre aux attentes des flexitariens », souligne Nicolas Dron, directeur marketing chez Bonduelle Food Service.

Selon une étude CHD Expert, 48 % des Français déclarent avoir augmenté leur consommation de salades en plat principal ou en accompagnement au restaurant. « La salade permet une multitude de compositions, c’est un mono produit qui n’en est pas vraiment un, note pour sa part Maël Barth, P-DG des bars à salades Jour, fondés en 2003. Sur le segment des bars à salades, on constate un taux de répétition de commandes par semaine plus important que dans le reste de la restauration, avec un mélange de clients hommes et femmes à parts égales. » Les Français sont par ailleurs de gros consommateurs de légumes sur la pause déjeuner qui semble un moment de prédilection pour la salade. En snacking, elles représentent toujours 15% de la consommation, un chiffre à nouveau en hausse depuis l’année dernière. « On a observé qu’il y a des moments plus propices au végétal. Le midi, la semaine, lorsque les gens ont moins de temps, les attentes sont différentes par rapport à un samedi soir entre amis », poursuit Nicolas Dron.

Qu’elle soit assortie de protéines animales ou végétales, la salade peut tirer parti de cette habitude de consommation du midi. « Ce qui est nouveau, c’est l’enjeu sur le renouvellement de la carte. Les chefs attendent notamment des produits solutions qu’ils peuvent utiliser dans des salades, mais aussi cuisiner en accompagnement ou pour garnir des pizzas. Simplifier leur approvisionnement pour faire mieux avec moins », poursuit Nicolas Dron. La marque diversifie donc ses offres, à la fois en surgelé, avec ses gammes Service et Minute, et en frais, avec une nouvelle gamme traiteur multi-usages. L’enjeu est ainsi de proposer des ingrédients polyvalents, utilisables à chaud ou à froid. Parmi les dernières innovations, le pois chiche vert, lauréat d’un prix de l’innovation au Sirha, a notamment été pensé pour apporter de la nouveauté dans des plats tout en fraîcheur. « L’univers de la salade permet d’amener plus facilement les clients vers de nouveaux produits, constate au fil des années Vincent Mondoloni, directeur général de l’enseigne à volonté Salad & Co, fondée en 2009. Ils ont la possibilité de goûter des produits qu’ils n’ont pas chez eux, mais à un prix abordable. C’est un élément différenciant pour un restaurant. »

De son côté, l’enseigne Dubble a récemment fait parler de son initiative d’inscrire les algues sur sa carte printanière. De même, les légumes fermentés, les baies ou encore les légumineuses n’ont plus rien d’anecdotique dans ce genre de plat. Bonduelle commercialise d’ailleurs une nouvelle référence d’edamame surgelé. La marque du conserveur Charles Christ s’est, quant à elle, lancée dans deux nouvelles références de kimchi. Du côté des garnitures laitières ou des substituts végétaux également, de nombreuses références attaquent désormais le marché. Le Danois Arla Pro, présent sur le marché français depuis cinq ans, se positionne en priorité sur le marché de la pizza, avec des mozzarellas étudiées pour cet usage, mais aussi avec des produits pensés spécifiquement pour le snacking. La marque propose ainsi une nouvelle référence de dés de fromage façon feta, mais au lait de vache.

Une autre innovation, pensée à la base pour remplacer les steaks dans les burgers, le crispy cheese, pourrait également inspirer des recettes inattendues dans le domaine des salades. À l’image du halloumi, fromage libanais dégusté grillé, ces galettes de fromage panées amènent une alternative gourmande pour diversifier les garnitures. Chez Unilever, la marque Le Boucher végétarien, mise pour sa part sur le simili-carné pour agrémenter les salades, avec une nouvelle référence d’émincé saveur grillé. Utilisable à chaud et à froid, il permet de composer des recettes tout en fraîcheur pour l’été où avec un contraste chaud-froid pour des compositions plus adaptées en d’autres saisons. Il faut se différencier certes, mais pas à n’importe quel prix. La salade jouit parfois d’une mauvaise réputation, celle d’un plat trop cher pour ce qu’il est. En redorant son blason par le biais de la restauration rapide et ses tarifs contenus, l’équilibre économique est désormais de mise aussi bien du côté de la marge que du rapport qualité-prix. « La difficulté supplémentaire sur la salade, c’est que nous sommes évalués uniquement sur des produits bruts, puisque rien n’est cuit. Si le produit est moyen, cela va tout de suite se sentir, remarque Maël Barth de Jour. Et lorsque nous choisissons des ingrédients de qualité, le prix de revient est important. C’est une illusion de penser que nous pouvons faire une meilleure marge sur des salades que sur des pizzas. En revanche, la restauration à table a l’avantage de pouvoir sublimer encore plus les salades avec des cuissons minute. » Et valoriser un peu mieux ces plats.

La satiété, le coeur du sujet

Le côté sain d’un plat de salade n’est plus un argument suffisant. Même si le bien-manger devient une constante des préoccupations des consommateurs, « l’important est désormais de se faire plaisir sans être moralisateur », estime Vincent Mondoloni de Salad & Co. Les clients en veulent pour leur argent, ils souhaitent avant tout manger à leur faim et se régaler. « Le sujet de la satiété est prépondérant lorsqu’il s’agit d’imaginer une offre de ce genre, note Nicolas Dron de Bonduelle. Et c’est là où le poke bowl a su tirer son épingle du jeu avec sa combinaison légumes – légumineuses – protéines. » Bonduelle a d’ailleurs développé un service, Greenologie, pour épauler les chefs dans le développement et la composition composition de leurs recettes et pour les aider à appréhender ce plat de manière plus globale. « Les plats végétariens se développent énormément et la salade permet d’apporter simplement de nouvelles protéines avec les légumes secs ou encore des acides aminés à travers le quinoa. Il faut toujours un peu de pédagogie auprès des chefs, mais l’offre s’élargit et ces produits entrent dans les usages, notamment en restauration fast-casual », note Nathalie Douis, directrice marketing chez D’Aucy Foodservice.

La marque focalise pour sa part ses efforts sur ses garnitures végétales, des bases de légumes secs et de céréales prêts à l’usage. Des produits solutions, « qui permettent d’assurer un gain de temps et une qualité constante pour des ingrédients qui présentent différents appoints de cuisson », tout en laissant le champ libre aux chefs pour qu’ils personnalisent la recette en y associant des produits frais. Mais là où l’exercice peut devenir un peu plus périlleux, c’est sur l’apparence du plat. Là encore, les poke bowls ont institué de nouveaux codes, plus lisibles, qui donnent d’abord à manger avec les yeux. Une petite révolution vis-à-vis des habitudes ancrées jusque-là dans la restauration. « On sent que la dimension visuelle est vraiment très forte dans ce segment. Le visuel joue d’ailleurs sur la satiété. Il a un rôle sur la capacité de nourrir, de manger lentement. Et cela vient répondre au besoin de fond de végétal qui rassasie », complète Nicolas Dron.

La sauce, la caution gourmande 

Chez Salad & Co, les sauces sont de réel les signatures, comme pour n’importe quel plat. « Elles apportent de la gourmandise et viennent finir le plat en beauté », relate Vincent Mondoloni. Si, bien sûr, elles ont toujours une plus-value à être préparées maison, de nombreuses propositions proviennent des fournisseurs qui se saisissent des grands marqueurs du moment. Knorr Professional, par exemple, décline trois références aux goûts concentrés, Fumé, Agrumes et Umami. De son côté, Unilever, sous la marque Hellmann’s, entend laisser aux chefs la possibilité de « se réapproprier les sauces » avec trois nouvelles références : barbecue, oignons caramélisés et à l’ail. « Le marché des sauces de variété est en croissance et nous “premiumisons” notre offre », souligne Amélie Castro, responsable des marchés restauration commerciale de la marque.

La sauce à l’ail se présente comme une sauce ingrédient, une base à utiliser telle quelle ou à cuisiner. « Elle est fiable à chaud et à froid, tout comme la sauce barbecue. Elles ne déphasent pas, ce qui permet d’envisager différents usages, en assaisonnement, mais aussi pour mariner ou laquer un ingrédient. » Maël Barth de Jour va dans le même sens et ouvre les possibilités : « La sauce compte beaucoup. C’est ce qui suscite l’intérêt. Nous faisons aussi le pari de mettre des assaisonnements qu’on n’attendrait pas sur une salade comme du houmous ou du tzatziki. » Quant à D’Aucy Foodservice, elle emprunte cette voie par le biais de quatre nouvelles références de tartinables de légumes. « Nous avons voulu une liste d’ingrédients très simples, avec très peu d’assaisonnement. En restant sur le légume nature, on laisse la possibilité au chef de réaliser sa propre composition sans être limité par d’autres épices », assure Nathalie Douis. Une diversité d’approches qui laisse à ce plat de beaux jours devant lui, à en croire Nicolas Dron de Bonduelle : « Quand on regarde les grandes tendances internationales, on voit qu’il y a un potentiel encore plus important sur le bowl, autour de contrastes de températures par exemple ». Sans nul doute, le segment est encore amené à beaucoup se développer.

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