Le sandwich : deux morceaux de pain pour un grand moment de plaisir

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Véritable institution de la gastronomie française, le sandwich revient en force. Loin du classique jambon beurre, les recettes pour casser la croûte se révèlent de plus en plus travaillées et goûteuses. Baguettes, pains briochés, feuilletés… le sandwich se conjugue à toutes les sauces, y compris gastronomiques.

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Moïse Sfez a importé le lobster roll voilà sept ans, et a ramené les sandwichs sur le devant de la scène. Crédit puxanphoto.com.

On estime à 2,6 milliards le nombre de sandwichs vendus en France en 2021 ! Alors que le marché du burger arrive à maturité avec 1,5 milliard écoulé en 2023, soit un repli de 3,5% par rapport à 2019 selon Gira Conseil, le sandwich, lui, a de beaux jours devant lui. Il revient sur le devant de la scène avec toujours plus de nouvelles enseignes et de recettes créatives. Il n’est pas rare non plus de voir des sandwichs avec un prix à deux chiffres. Le traditionnel jambon beurre dans la vitrine réfrigérée d’une boulangerie à 4€ à emporter semble laisser place à de délicieux sandwichs travaillés, cuisinés et dégustés sur un coin de table comme dans les grands palaces. Plus intéressant nutritionnellement parlant qu’il n’y paraît, le sandwich dispose de plus d’un tour dans son sac.

« Je pense que les sandwichs ont toujours été à la mode, il n’est pas revenu. Il n’a jamais été détrôné par le burger, les tacos ou les kebabs, assure Elsa Rampazzo, propriétaire du Club Sandwich à Biarritz. Ce qui a changé, c’est qu’avant on consommait seulement à emporter alors qu’aujourd’hui on va s’installer pour le manger au restaurant comme un plat classique. Le sandwich s’est “ gastronomisé ”. » La cheffe de 31 ans a ouvert son établissement 100% dédié aux sandwichs voilà près de trois ans.

Possibilités infinies

« À moins d’avoir une excellente boulangerie, on est toujours déçu des sandwichs, il n’y a pas assez de jambon, le pain est mou », poursuit-elle avec regret. Pourtant, les chefs sont unanimes : le sandwich est loin d’être une contrainte et offre des possibilités créatives infinies. « Un sandwich, c’est de la garniture entre deux tranches de pain, simplifie Elsa Rampazzo. Chaque région du monde a son pain avec différentes farines et de l’eau, c’est la base. » De retour d’un voyage au Maroc, elle a goûté un sandwich aux sardines grillées avec de l’huile d’olive et de la tomate « tout simple, mais c’était une folie ; on peut tout mettre dans un sandwich ».

De son côté, le chef parisien Julien Sebbag, à la cuisine étonnante, ne dira pas le contraire. Chez Micho, dans le 1er arrondissement de Paris, on trouve ainsi des sandwichs au ragoût de bœuf, patate douce, tahini, paprika, chou rouge, persil et noisette ou aux boulettes de bœuf écrasées, à la salade d’herbes mixtes, amandes, tahini, moutarde et miel. De vrais plats cuisinés emmitouflés d’une hallah, un pain brioché traditionnel juif. Pour le gérant de Micho, le concept est né voilà bien longtemps. « Dans ma famille, les lendemains de Shabbat, on avait un gros pain au milieu de la table, et on mettait tous les restes de salades dedans, confie-t-il. En fin de service, dans tous mes restaurants, nous mangions les restes des préparations dans ces pains traditionnels qui ont toujours été à l’honneur dans ma cuisine. »

Quand le projet d’ouvrir un restaurant de street food a vu le jour, le concept était déjà là. Quand on lui demande si les sandwichs peuvent être une contrainte, il répond que c’est plutôt une solution pour « manger sur le pouce. Les garnitures sont toutes adaptées pour rentrer dans du pain. Si on trouve un équilibre de textures afin que le pain ne soit pas trop sec tout en étant structuré, alors il n’y a plus aucune limite. »

Il adapte d’ailleurs ses envies et ses idées aux saisons. « S’il fait très froid en plein hiver, je vais proposer un sandwich avec du fromage à raclette et des oignons confits. Là, en ce moment, j’ai envie de créer un sandwich frais et printanier avec du saumon gravlax. » Dans sa salle à l’esprit resto des années 1970, le chef autodidacte propose aussi les garnitures de sandwich à l’identique, à déguster dans une assiette avec des couverts. La preuve qu’un sandwich est un vrai repas.

La bouchée parfaite

Moïse Sfez, le créateur du lobster roll à la française, voue un culte au sandwich. Il soutient que l’on peut y mettre ce que l’on veut. Il glisse entre ses deux tranches de pain brioché l’un des produits les plus nobles de la gastronomie : le homard. « Dans un plat, nous aurons tendance à tremper la viande dans la sauce, prendre un bout de légumes pour réunir tous les ingrédients et avoir toutes les saveurs d’un coup. Le sandwich, c’est la bouchée parfaite du début à la fin », soutient-il.

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Le sandwich d’aujourd’hui n’hésite plus à s’affranchir des frontières du classicisme. Une très bonne nouvelle… Crédit Renata Tlałka.

Homer Lobster est une enseigne parisienne qui s’est exportée à Saint-Tropez (Var), à Marseille (Bouches-du-Rhône) et même à Dubaï (Émirats arabes unis), mettant en lumière les traditionnels lobster rolls américains. Avec déjà l’idée de faire de la street food, Moïse Sfez s’est d’abord formé dans les plus grands palaces français pour acquérir de la technique. « Je voulais connaître le haut du panier de la restauration pour l’adapter en street food et faire la cuisine que je voulais d’une façon complètement différente », explique celui qui a ensuite voyagé aux États-Unis. C’est d’ailleurs dans la capitale des sandwichs au homard en Nouvelle-Angleterre que Moïse Sfez a décroché la première place au concours du Meilleur lobster roll au monde en 2018.

Cet amoureux des sandwichs a également créé Janet où il remet au goût du jour le classique delicatessen au pastrami à Paris et plus récemment le coffee-shop Maurice. Le chef s’est passionné pour la cuisine de rue aux États-Unis et s’inspire de ses voyages à travers le monde, et « de plus en plus de l’Asie ». Et d’ajouter : « En France, on est en retard sur les sandwichs. Dans les pays anglo-saxons, cela a toujours été dans les mœurs mais les gens voyagent de plus en plus et avec les réseaux sociaux, le sandwich s’est démocratisé, note Moïse Sfez. L’avantage en France est que je peux transformer mes influences en quelque chose d’encore plus raffiné. » Avec différents assaisonnements, on retrouve par exemple le homard breton légèrement tiédi, assaisonné de beurre citronné et d’un doux mélange secret d’herbes aromatiques servi dans un pain artisanal beurré et toasté.

Le secret réside dans le pain

Pour Moïse Sfez, il faut prendre en considération qu’un sandwich est composé à 50% de pain, le choix de celui-ci est donc primordial. « Par exemple pour le homard, je n’allais pas prendre de la baguette qui aurait eu un goût trop prononcé et qui aurait effacé le produit ; il fallait de la délicatesse, un pain brioché, dodu, léger et croustillant, soutient-il. Le jambon beurre dans une brioche n’aurait aucun sens alors qu’un bon pain de campagne va être efficace. Le pain sert à sublimer le produit mais il faut aussi sublimer le pain. »

Pour travailler le homard tout en respectant le produit, approfondir ses connaissances sur ses accords et sa cuisson, Moïse Sfez s’est notamment formé auprès de Jocelyn Herland au Meurice. Moïse Sfez a importé le lobster roll voilà sept ans, et ramené les sandwichs sur le devant de la scène. « Le sandwich n’est pas juste un casse-croûte, c’est un plat à part entière. » Son sandwich préféré, c’est simplement avec le poulet rôti du lendemain : « Revenu à la poêle, dans la bonne tradition grattée avec un peu d’ail, quelques tomates et de la mayonnaise, il n’y a pas mieux. »

Un prix plus élevé

Si le fameux casse-croûte s’est vu « gastronomisé », il a aussi vu son prix grimper. Chez Micho, les sandwichs atteignent facilement les 15€. Dans son enseigne basque, Elsa Rampazzo propose notamment un sandwich pulled pork. « On a un travail de plus de 48h sur la viande qu’on masse avec un mélange d’épices et qu’on fait mariner. Elle repose pendant 24h avant la cuissonlente de 8h, puis elle repose de nouveau pour une deuxième cuisson au bain-marie avant le service, détaille Elsa Rampazzo. Forcément, on ne peut pas mettre cela à 4€ car il y a autant voire plus de travail que sur un plat traditionnel. Il faut aussi prendre en compte les charges du restaurant plus importantes qu’un plat à emporter. »

Chez Homer Lobster, il faut compter entre 17 et 25€ pour le fameux sandwich au homard. Toutefois, il reste encore une partie de la population à convaincre. Tout le monde n’est pas prêt à mettre ce prix dans un sandwich. Une question de moyen, de génération ? « Oui, un peu, le cœur de ma clientèle à Club Sandwich, c’est 25-35 ans mais j’ai aussi beaucoup de familles car le sandwich plaît à tout le monde mais c’est vrai que j’entends parfois des gens dire qu’ils ne mettront jamais 15€ dans un sandwich et qu’ils préfèrent aller au restaurant, concède Esa Rampazzo. Pourtant le sandwich peut être aussi intéressant nutritionnellement qu’un plat ; il possède tout ce qu’il faut. »

Pour Moïse Sfez, c’est aussi une question de localisation. « Dans la capitale, on va dépenser plus alors qu’en province, le pouvoir d’achat étant moindre. » Et pour cause : l’un de ses sandwichs atteint 55€. « Il y a 30g de homard et 20g de caviar de Sologne. Nos marges sont plus petites qu’en restauration classique car le but c’est de faire de la quantité et de rendre accessibles des produits qui coûteraient plus de 120€ s’ils étaient consommés au restaurant classique », justifie le créateur du lobster roll à la française.

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Du côté du Ritz Paris Le Comptoir, le sandwich Jambon truffe de François Perret. Crédit Bernhard Winkelmann.

Au Comptoir du Ritz, tandis que les trois sandwichs phares revisités par François Perret sont affichés à 15€, le casse-croûte au homard est à 48€. Dans un pain brioché y sont disposés mayonnaise citronnée, feuilles de laitue, dés de citron confit, ciboulette et homard breton. Sur commande uniquement ou disponible le samedi en boutique, cette proposition fonctionne bien. « À 48€, la plupart des clients sont déjà des habitués du homard et savent que c’est un prix très honnête, mais il existe aussi des clients qui vont casser leur tirelire pour tenter cette expérience, souligne-t-il. C’est toute la force de ce lieu d’avoir une clientèle aussi éclectique. »

Inverser les proportions

Au Comptoir du Ritz, le Meilleur Chef pâtissier de restaurant du monde (2019) a pensé cette nouvelle annexe du palace comme un « un lieu pour faire sortir le Ritz de ses murs, s’adresser à une clientèle plus variée ». Si c’est une ode à la pâtisserie, le chef a tout de même tenu à proposer une offre salée. La star de la série The Chef in a truck sur Netflix a revisité l’incontournable jambon beurre. Dans une pâte feuilletée en forme de U pour mettre en valeur la garniture se trouve un beurre moutardé, du comté affiné 24 mois, du jambon cuit à l’os et des cornichons. « J’ai voulu rendre la garniture au sandwich car il y a toujours trop de pain, regrette le chef. Je me suis amusé à peser les ingrédients, dans un sandwich classique on a environ 70% de pain pour 30% de garniture ; j’ai inversé les proportions. »

Pour le chef, le format du sandwich est plus une solution qu’une contrainte. « Il permet de déguster facilement et c’est justement le défi avec le sandwich, à savoir le rendre moins utilitaire et encore plus gourmand », affirme François Perret. Avec ce visuel en U, il a également créé le sandwich au saumon avec une crème de raifort, saumon fumé, roquette et segments de citron mais cette fois dans une base de pain de mie au sarrasin, toujours en forme de U. Ainsi que le sandwich César « qui donne l’impression de manger une salade » avec tous les ingrédients de ce plat classique.

Un sandwich de palace

Le sandwich gastronomique a encore de beaux jours devant lui car le chef du lobster roll à la française souhaite ouvrir le premier restaurant de sandwichs de palace. Inspiré du Po’boy en Louisiane, Moïse Sfez souhaite reprendre ce concept avec du crabe royal et une sauce au beurre blanc caviar dans un pain brioché. Mais si le chef ne peut pas encore se prononcer sur un lieu ou une date, il sait néanmoins déjà comment il présentera ses œuvres. « Pour un dressage palace, nous allons choisir la bonne assiette et jouer sur la découpe du sandwich, servi avec un rince-doigts sur le côté, argumente-t-il. On pourra autant le manger avec les mains qu’avec des couverts, car la base du sandwich, c’est qu’il soit aisé à manger. »

John Montagu, 4e comte de Sandwich, et « inventeur » de ce mets n’aurait pas dit mieux… Mais c’est une autre histoire.