Bistrot de pays, un rôle crucial

  • Temps de lecture : 7 min

Ce label reflète un engagement et un état d’esprit, fruit de l’initiative des bistrots de pays et des établissements ruraux de restauration, notamment. La sortie du premier Guide national des bistrots de pays nous offre un voyage dans la France rurale, à la rencontre de bistrotiers qui ont décidé de s’unir pour ne pas mourir.

Bistrot de Pays
Présents dans les villages sur l’ensemble du territoire, ici à Villars dans le Vaucluse, différents bistrots se réunissent sous un même label. Crédit : Fédération nationale des bistrots de pays

Au sud de Carcassonne (Aude), une route départementale sillonne le massif des Corbières. De part et d’autre du bitume, des vignes et des collines s’achent à perte de vue. Au détour d’un virage, le village du Val-de-Dagne apparaît. Selon le dernier recensement, ils ne sont que 700 âmes à vivre dans la commune – 700 personnes qui, il y a encore quelques années, étaient obligées de faire plusieurs dizaines de kilomètres pour aller boire un simple café en terrasse. C’était sans compter sur le pari d’Aurélien Cornac, de reprendre en 2020 l’ancien café-restaurant-boîte de nuit du village, aujourd’hui labellisé «bistrot de pays», fermé depuis 12 ans.

« Je suis originaire du coin et je voulais essayer de relancer le dynamisme du village qui était sans lieu de vie. Je savais que c’était osé, mais le challenge me plaisait », présente celui qui a mis de côté son uniforme de policier pour le tablier de restaurateur. Lors de son ouverture, Aurélien Cornac ache une pancarte bariolée sur sa devanture, celle du label «bistrot de pays».

iAurélien Cornac
Aurélien Cornac a repris l’ancien café de son village, fermé depuis 12 ans, à Val-de-Dagne dans l'Aude. Crédit : Fédération nationale des bistrots de pays

Une enseigne en reconnaissance de son engagement de travailler de manière locale. « Dès le début, je cherchais à me labelliser pour mettre en valeur ma philosophie et mon travail avec les producteurs locaux, aussi bien sur la carte que dans l’aménagement et la décoration. Je me suis renseigné sur le label et j’ai découvert qu’il n’y en avait, à l’époque, pas dans l’Aude. Les valeurs que représente ce label, je les avais déjà avant même d’ouvrir. Cela regroupe le côté rural et locavore, c’était une évidence pour moi.»

Bistrot de Pays, un label gage d’un état d’esprit

Ils sont aujourd’hui 123 établissements, sur 34 départements, à être regroupés sous l’appellation «bistrot de pays». Un label inauguré par la fédération éponyme ayant pour but de créer une communauté d’entraide entre ces établissements dispersé sur l’ensemble du territoire français. Une initiative lancée en 1993 par Bernard Raynal, Corrézien et bistrotier de son état. « L’idée était de soutenir les bistrotiers indépendants en partant du constat que quand le bistrot du village ferme, il laisse un immense vide social derrière lui », souligne Bastien Guiraud, directeur de la fédération. Le projet de réseau de bistrots a commencé par être expérimenté du côté des Alpes-de-Haute-Provence, à Forcalquier, à l’endroit où la fédération est encore implantée, avant de s’étendre dans toute la France.

Pour rejoindre le réseau, chaque établissement doit cependant remplir plusieurs conditions. « Le label s’appuie sur une charte précise. Les amplitudes d’ouverture journalière doivent être assez larges, afin de faire vivre la commune. À l’année, l’établissement doit être ouvert au moins 9 mois sur 12. Les bistrots de pays ne sont pas des établissements saisonniers », explique Bastien Guiraud. Du côté de la cuisine, l’offre culinaire se doit d’être une restauration dite traditionnelle qui met en avant les producteurs locaux et la saisonnalité des produits.

iCharles Edouard Barbier
Charles-Édouard Barbier, président de la fédération et également bistrotier à Heilles dans l’Oise. Crédit : Anne-Sophie Flament/Fédération nationale des bistrots de pays

De plus, il est demandé à l’établissement de se comporter comme « un ambassadeur de son territoire ». En effet, « le bistrot de pays aide à faire vivre sa commune et son territoire, à la fois par sa cuisine locale mais aussi en faisant la promotion du patrimoine et des activités touristiques à faire aux alentours », déclare Charles-Édouard Barbier, président de l’UMIH de l’Oise, de la fédération des Bistrots de pays et également à la tête de l’auberge Les Tilleuls à Heilles (Oise). « Notre charte comporte plus de 400 points mais si on devait la résumer, ce serait la règle des trois A. L’accueil, qui doit respecter l’ensemble des fondamentaux d’un établissement tout au long du parcours client, l’aménagement avec une décoration et du mobilier de qualité et l’assiette qui se doit d’être composée de produits de saison et locavores », énumère-t-il.

Une fois l’agrément accordé par la fédération et ses relais locaux, par le biais d’un audit et du passage d’un client mystère, l’établissement reçoit une vitrophanie millésimée ainsi qu’une plaque de décoration et fait son entrée dans le Guide national des bistrots de pays, dont la première version vient de paraître. En plus de ces éléments, la fédération vient en aide aux établissements sur le volet de la communication digitale. « Nous intégrons chaque bistrot à notre site internet. Cela leur permet de faire l’économie d’un site. On crée du contenu pour eux par le biais de photos et d’articles. Le label a une vocation d’agence de communication spécifique pour des bistrots de village », expose le directeur de l’association loi 1901.

Lutter contre l’isolement des bistrotiers

La fédération produit également des fiches-conseils à destination des restaurateurs. « Le label est là pour fédérer et lutter contre l’isolement des bistrotiers. Il permet de donner de la visibilité et de la crédibilité. Nous souhaitons avant tout éviter que le rideau se ferme car sinon il ne se relève que
très rarement
», relate le président. Selon les données de l’INSEE, il ne resterait environ que 9 000 bistrots dans l’Hexagone, dans des communes de moins de 2 000 habitants et ils seraient environ 1 000 par an à mettre la clé sous la porte. À une échelle plus globale, la France perdrait environ 7 000 cafés-bistrots annuellement.

Pour ce faire, la fédération propose aux bistrotiers des formations portant sur la rentabilité de ce type d’établissement, les poussant à la diversification. « Les bistrots de pays font face aux mêmes problématiques que l’ensemble du secteur CHR mais pour ce qui est des bistrots de village, on observe qu’il faut jouer la carte de la diversification », analyse Bastien Guiraud. Parmi les pistes de diversification, l’hébergement, les activités culturelles ou encore l’épicerie semblent plébiscitées. « Plus le bistrot est en zone reculée, plus l’offre d’hébergement à la nuitée est intéressante. Le côté épicerie fonctionne également bien avec des produits de première nécessité mais aussi un aspect épicerie fine pour capter les touristes », précise le directeur de la fédération.

iL’Auberge des Eygliers
L’Auberge d'Eygliers, dans les Hautes-Alpes, est tenue par Lydia Gauvin. Y sont proposées de multiples activités outre la restauration afin de faire vivre le village. Crédit : Fédération nationale des bistrots de pays

Toutefois, il recommande aux bistrotiers de ne pas trop se disperser afin que l’activité de restauration structure leur chiffre d’affaires et s’adapte de façon à attirer différents types de clientèle. « Il faut jongler entre une activité de restauration du midi attractive en termes de prix et une activité de soir et week-end avec une cuisine plus élaborée. Il est important de jouer sur la mixité de la clientèle. Les clients locaux sont indispensables, mais il faut aussi arriver à capter une clientèle composée de touristes et
d’excursionnistes.
»

Bistro de Pays, dernière lumière allumée du village

Pour Charles-Édouard Barbier, la diversification est dans l’âme même du bistrot de pays et s’inscrit dans son rôle social. « Un bistrot doit faire vivre son village. Si vous avez l’amplitude horaire pour faire dépôt de pain ou relais postal, vous devez le faire. Ce sont souvent des services annexes, dérisoires en termes de chiffre d’affaires mais qui permettent aux gens de pousser la porte de l’établissement et de revenir comme client. Il n’y a pas un type bistrot. Chacun est unique et s’adapte à son territoire et à ses
spécificités.
»

Un discours partagé par Lydia Gauvin qui a repris l’auberge d’Eygliers (Hautes-Alpes) en 2014, labellisée « bistrot de pays » depuis 2019. Outre son activité de restauration, l’établissement fait également hôtel et coworking. La tenancière a aussi invité la culture à pénétrer dans ses murs en conviant régulièrement une compagnie de théâtre. Elle répond également aux besoins des habitants en organisant des ateliers de réparation de vélos ou encore des cours de poterie.

« On a créé ce lieu afin de s’inscrire au sein du maillage local en mettant en avant les producteurs et les associations », explique Lydia Gauvin, insistant sur le rôle social de son établissement et plus largement de tous les bistrots des petites communes. « On n’a rien inventé. Tout ça existait il y a 40 ans, on s’est égaré en route et c’est ce que je voulais retrouver. Le monde ouvrier est là tôt le matin, puis l’espace coworking accueille les cadres avec leur ordinateur. Le midi tout le monde se mélange et l’après-midi, les jeunes viennent participer à l’atelier de réparation de vélos. »

Et le président conclut : « Le bistrot est souvent la dernière lumière allumée du village. Il permet de maintenir du lien social dans ces territoires oubliés. » En partenariat avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la Fédération des bistrots de pays a lancé un appel à candidatures pour accompagner 30 nouveaux établissements en 2024. Les candidatures s’effectuent sur leur site internet : bistrotdepays.com

PARTAGER