Restaurants festifs : du CA additionnel garanti
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L’après-Covid a révélé une nouvelle manière d’appréhender la fête. Alors que les boîtes de nuit ne cessent de perdre en fréquentation, les restaurants dits festifs ont le vent en poupe. Ces établissements de restauration classique le midi se transforment en simili boîtes de nuit en début de soirée, de quoi se réinventer tout en gagnant en rentabilité.

Un jeudi soir, autour de 22h, rue du Helder à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). Une poignée de personnes finissent leurs cigarettes avant de pénétrer dans un établissement aux rideaux rouges ; un restaurant répondant au nom de Maison Plaisir. Ce dernier est ouvert depuis à peine un an mais semble déjà bien implanté dans le paysage gastronomique et festif local, en témoigne la cohorte de gens qui s’agglutine devant la porte tous les soirs d’ouverture.
Le premier service commence à prendre fin. Les clients, en majorité des familles, quittent les lieux. Ils laissent place à une clientèle plus jeune, des trentenaires et des quadras venus entre amis. Le second service démarre ; il est aux alentours de 22h30. Alors que tout ce beau monde est sur le point de finir son plat et que des desserts sont envoyés en cuisine, les fameux rideaux rouges se ferment, la lumière se tamise et le volume sonore monte de quelques décibels. Progressivement les tables sont mises de côté, et la salle se transforme en une grande piste de danse. Tandis que les serveurs passent derrière le bar, les tartes aux myrtilles et cœurs coulant au chocolat laissent place aux cocktails signatures de l’établissement. La soirée est lancée.
Le boom des restaurants festifs
Maison Plaisir fait partie de ces nouveaux types d’établissements en vogue, les restaurants festifs. Un concept que Romain Brevet, jeune entrepreneur en restauration de 27 ans et co-associé de Maison Plaisir, a ramené d’Espagne. « J’ai vu des établissements comme cela à Madrid. J’étais dans un moment de ma vie où je travaillais dans l’organisation de soirées. Rapidement, avec mon associé, nous avons eu l’opportunité d’avoir ce local dans le centre de Biarritz et on s’est lancés », relate le jeune homme, issu d’une famille de restaurateurs. Enfin, après quelques travaux pour remettre l’endroit à leur goût, l’établissement festif ouvre ses portes en mai 2023 et rencontre rapidement son public. « Ça a marché tout de suite. Les gens ont répondu présent. On a vraiment senti qu’il y avait une demande », explique-t-il.

Une demande si présente que Romain Brevet s’apprête à ouvrir deux nouveaux établissements du même genre. L’un toujours à Biarritz, un restaurant italien où la fête se fera autour de grandes tables et un second à Paris. Il concède cependant que dans la capitale, le concept est déjà fortement soumis à la concurrence.
À Paris et dans toute la France, ces établissements ne cessent de fleurir et de séduire, et les grands groupes l’ont bien compris. Moma ou encore Paris Society se sont engouffrés dans le concept à travers des établissements comme Le Bœuf sur le Toit à Paris 8e, Noto à Saint-Tropez (Var) ou le Piaf dans la capitale, ainsi qu’à Megève (Haute-Savoie). Le groupe Eleni, fondé par le chef Juan Arbelaez et les frères Chantzios, s’est lancé, un peu par hasard, dans les restaurants festifs en 2017 et possède désormais une quinzaine d’établissements sur le territoire. « Nous avons ouvert notre premier restaurant, Yaya, à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, en juin 2017. Certains jours, comme les jeudis, étaient assez calmes et on s’est demandés comment faire venir des gens jusqu’à Saint-Ouen », conte Grégory Chantzios.

Les trois associés décident donc d’inviter chacun des copains à venir faire la fête, toutes les semaines. L’initiative ne cesse de prendre de l’ampleur, jusqu’à devenir un rendez-vous incontournable, puis un concept, sur lequel ils n’ont pas fini de surfer. Les deux frères d’origine grecque et le cuisinier colombien viennent d’ouvrir Babille, une brasserie française festive sur les Grands Boulevards dans le IIe arrondissement de Paris, et s’apprêtent à inaugurer leur sixième Yaya, des établissements à l’accent grec, à Rennes (Ille-et-Vilaine) en septembre. « On va chercher à s’implanter dans le futur dans toutes les grandes villes où ce type de restaurant n’est pas encore développé », affiche Grégory Chantzios.
Des discothèques en perte de vitesse ?
Un engouement pour ces lieux hybrides qui résulterait, selon l’ensemble des professionnels interrogés, d’un changement de la manière de faire la fête. Une tendance post-Covid, illustrée par une baisse de l’ordre de 15 à 20% de fréquentation des discothèques, selon une étude du cabinet Propulse by Crédit agricole. « Cela faisait déjà longtemps que les discothèques, notamment celles en périphérie des villes, étaient en perte de vitesse. La période des confinements n’a fait qu’accélérer le phénomène et les gens se sont rapatriés sur les bars festifs. On a recentré la fête », analyse David Zenouda, vice-président de l’Umih Paris–Île-de-France et président de l’Umih Nuit Paris.
Pour lui, les établissements festifs permettent de répondre à deux problématiques, qui sont faire la fête dans un seul et même lieu pour « ne pas casser la dynamique » et surtout, faire la fête plus tôt. « C’est un phénomène de société et on le voit déjà avec les afterworks. La temporalité de la fête a changé, les gens veulent rentrer plus tôt chez eux. Le monde de la nuit est en train de devenir le monde du soir. »
Des propos partagés par Cécile Alle, associée au Ouistiti Paris, un établissement festif qui a ouvert ses portes en janvier 2023 dans le 8e arrondissement de la capitale. « L’ambiance est plus intime et les clients apprécient de profiter de la soirée du début à la fin dans un même lieu », exprime-t-elle, précisant que le concept se doit d’être « une harmonie entre une bonne table et une ambiance de fête ». Une précision louée par Romain Brevet. Il souligne l’importance de ne pas mettre de côté la qualité de la cuisine, évoquant la nécessité de « provoquer des émotions dans un premier temps dans l’assiette » pour ensuite créer une expérience à travers une décoration marquée, une playlist travaillée et un jeu de lumière digne de ce nom, afin d’immerger les clients dans un univers.
Une rentabilité exacerbée
Pour cette expérience, le Ouistiti Paris a pris le pari d’alterner les soirées avec des chanteurs et d’autres avec des DJ résidents, afin de proposer des ambiances diverses selon les soirs. Cela dit, la recette globale reste la même. « On fait progressivement monter le son et vers 23h, on pousse les tables. Généralement ça prend de manière assez magique. Les gens se rassemblent et tout le monde se met à danser », s’extasie-t-elle.
À cela vient s’ajouter une attention toute particulière à la mixologie, marque de fabrique de l’établissement aux nombreux cocktails signatures. Dans ces établissements, la partie boisson a une importance primordiale. Hors l’aspect festif, elle est la clef de la rentabilité. « Avec la hausse des matières premières, les marges d’un restaurant sur la nourriture sont faibles. Ce qui fait vivre un restaurant, c’est surtout le vin et les alcools. Le côté festif vient renforcer cet aspect. Les clients restent plus longtemps et consomment plus de boissons, ce qui rend le modèle économique plus intéressant », analyse Grégory Chantzios.
Pour lui, l’aspect festif fait grimper le ticket moyen de 30 à 40%. Il estime même que, sans cela, leurs établissements n’auraient pas survécu à l’après-Covid. « C’est toujours plus intéressant de vendre un gin tonic qu’une entrée », abonde Romain Brevet. Par ailleurs, la plupart des restaurateurs rencontrés ne se perçoivent pas comme « les nouvelles boîtes de nuit » et n’envisagent pas de repousser leur heure de fermeture après 2h du matin. « Après cette heure-là, c’est un tout autre métier », souligne Cécile Alle. Mais d’autres choisissent de pousser le concept un peu plus loin.

Ainsi, Grégory Chantzios et ses associés ont pris la licence de nuit pour leur nouveau restaurant Babille afin de « proposer aux clients la petite heure en plus pour faire la fête ». Romain Brevet, quant à lui, a fait un choix similaire pour son futur établissement parisien avec l’ambition de « créer un lieu hybride qui viendra casser les codes de la boîte de nuit. » David Zenouda rappelle également la nécessité de passer d’une licence N à une licence P pour ceux qui souhaitent flirter avec les codes de la boîte de nuit et appelle à la création d’un statut hybride, entre la discothèque et le restaurant. « Le code des débits de boissons doit s’adapter à l’évolution de la profession », conclut-il. Sera-t-il entendu ?