Tireuses : la pression fait recette

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Les becs, autrefois peu nombreux et réservés à la bière, prennent de plus en plus de place dans les bars et les restaurants. Ils sont dorénavant diversifiés et permettent également de servir d’autres boissons, à l’instar du vin. Pratiques, économiques et écologiques, ils présentent de nombreux avantages pour les professionnels et les clients.

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Tireuses : la pression fait recette. Crédits : Pixabay.

L’image de la bière à la pression liée au bistrot de quartier ou de village avec un choix restreint de ce breuvage, le plus souvent issu de groupes brassicoles, est révolue. Il est en effet de plus en plus courant de noter la présence d’une ligne de tirage aux multiples becs mettant en avant des brasseries artisanales ancrées ou non localement. De même, changer de propositions régulièrement ne fait plus exception, permettant au responsable de l’établissement CHR de laisser libre cours à son imagination au regard de la période de l’année ou en fonction des arrivages.

« Il y a 25 ans, la bière était un peu la boisson mal considérée, mais cela a changé« , note Édouard Lenne, directeur marketing opérationnel de Lenne Creation, spécialisée dans la fabrication de solutions de tirage depuis les années 1970. « Il y a eu une croissance exponentielle du marché. En 2000, nous avions un chiffre d’affaires d’environ 700.000€, aujourd’hui il représente plus de 17M€. En haute saison, nous sortons jusqu’à 25-30 installations par jour, ce qui est assez énorme« , se félicite le représentant de l’entreprise familiale.

De son côté, Philippe Collinet, directeur de la communication externe du mastodonte de la bière Kronenbourg SAS, abonde dans le sens d’une augmentation de l’offre et de la demande : « Mon sentiment est que la consommation repart à la hausse dans les établissements, avec un élargissement de la gamme, ce qui permet une diversification du choix. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de plus en plus de becs tournants. Je dirais qu’il y a plus de diversité. »

Traditionnellement, les distributeurs de boissons proposent de financer les tireuses des CHR en échange d’un contrat les liant à leurs produits. Une situation qui tend peu à peu à évoluer, aidée par l’élargissement de l’offre de bières. « Je pense que les habitudes de consommation évoluent et passent de la bouteille à la pression, estime quant à lui Stéphane Gouttenoir, responsable de Beer Up System. Plus l’établissement a de becs différents et plus cela donne envie aux gens de goûter. J’ai vraiment l’impression que la situation change, que les professionnels ont envie de choisir la bière qu’ils souhaitent et qu’ils ne veulent plus être liés aux marques. » Sa solution avec remplissage par le dessous du gobelet a été rachetée il y a trois ans par Reuz.

Le principe est le suivant : le gobelet est posé sur l’appareil, qui le remplit et s’arrête automatiquement. Cette technologie permettrait, d’après l’entreprise, d’éviter les 20% de perte de moyenne de bière lors du service. La demande de plus en plus forte pour la bière à la pression peut en outre se justifier par l’image qu’elle renvoie.

« La bière pression est perçue par le consommateur comme meilleure qu’en bouteille, observe Philippe Collinet. L’aspect visuel diffère entre un verre venant d’une bouteille et un de bière à la pression : dans le deuxième cas, il y a la mousse et le liquide se trouve à la bonne température. Celle de service est primordiale. Les gens vont avoir l’impression que c’est mieux. » Cette préférence s’explique également assez simplement. « C’est la manière historique de servir la bière« , suggère Édouard Lenne.

L’augmentation du nombre de becs est par ailleurs liée au fort développement de la bière ces dernières années, illustré par les créations de brasseries et microbrasseries artisanales dans l’Hexagone. La France représente d’ailleurs le premier pays en Europe en nombre de brasseries, avec 2.300 entités, d’après des chiffres des Brasseurs de France datant de 2020.

« Des bières craft [artisanales en français, NDLR], il y en a de partout, de toutes les régions. Maintenant, les gens veulent davantage de qualité« , remarque Stéphane Gouttenoir. Le Baromètre 2022 Sowine/Dynata a quant à lui montré que la bière était devenue en 2022 la boisson alcoolisée préférée des Français, détrônant le vin tranquille. Parmi les consommateurs de bières, 58% privilégient les bières locales ou françaises et 45% les bières craft.


Les avantages du fût

Le système de la tireuse n’est pas réservé qu’à la bière, bien au contraire. Édouard Lenne en témoigne : « Aujourd’hui, de plus en plus d’établissements tirent autre chose que de la bière avec notre matériel. Des cocktails, du vin… Le marché est en plein essor depuis quatre ou cinq ans. On propose un système pour adapter notre tireuse aux BIB. On peut soit dédier un bec au vin, soit prévoir une armoire frigorifique pour le BIB, c’est-à-dire un réfrigérateur avec sur ses portes des robinets. » Le vin pourrait ainsi adopter ce mode de consommation pour retrouver sa place d’alcool préféré des Français.

L’entreprise Les Assembleurs, fondée en 2018 et spécialisée dans la production de vin et la distribution en fût, compte bien y prendre part. Disposant d’un chai de vinification à Langlade, près de Nîmes (30), et d’un chai de mise en fût à Orange(84), les Assembleurs proposent les trois couleurs de vin. Ainsi,20 références composent leur gamme en Languedoc, côtes-du rhône et mâcon village, mais également en monocépages comme le chardonnay et le viognier en blanc, la syrah, le merlot et lecabernet sauvignon en rouge.

Antoine Oran, fondateur des Assembleurs, qui a également ouvert en 2019 à Lyon un restaurantau nom de l’entreprise, annonce pour les restaurateurs choisissant son offre une augmentation des ventes de vin de 20 à 35%.Grâce au vin en fût, le fondateur indique un coefficient de venteà 5,35 pour un prix TTC client inférieur à la concurrence et un produit de 20% à 40% moins cher qu’un vin de qualité équivalente en bouteille. « David, notre œnologue, a fait de la vinificationen Australie, où la consommation du vin en fût est plus répandue,c’est lui qui m’a parlé des avantages de ce contenant », indique Antoine Oran.

L’entreprise a choisi le KeyKeg, une poche plastique opaque accueillant le liquide, elle-même contenue dansune bonbonne également en plastique. Ces types de fûts ne nécessitent pas de gaz pour la distribution de la boisson. Le tirages’effectue grâce à l’envoi d’air comprimé dans la bonbonne, cequi compresse la poche située à l’intérieur et permet le service.« Nous mettons nous-mêmes nos vins en fût, avec le développementd’une machine. Le choix du KeyKeg est un parti pris. Cette technique, accompagnée de notre savoir-faire, permet de garder le vintrois ans en fût et six mois une fois branché », assure Antoine Oran.

Le fût, grâce aux durées de conservation beaucoup plus importantes par rapport au BIB ou à la bouteille, permet au professionnel d’être plus flexible et de limiter les pertes. « Le cubi tient unesemaine après ouverture et pour la bouteille, le problème est que si on ne vend pas le produit dans les 3-4 jours, il part à la poubelle », atteste ainsi Jean-Baptiste Hausséguy, à la tête de l’Aéro, à Bron, et du bar à bières Les Fleurs du Malt, à Lyon (69). Ainsi, Antoine Oran vante le contenant qu’il utilise pour ses boissons en assurant que « le vin évolue très peu, il est quasiment en pause ». Ceque confirme Tony Bonnardel, patron du Bar de l’Hôtel de Ville,à Vienne (38), et créateur de la microbrasserie Vienne Brewing Company. « En fût, il y a très peu d’oxydation », constate-t-il, cequi lui offre la possibilité de proposer du vin au verre dans son bar à bière, n’ayant « pas un gros débit » dans cette boisson.

De ce fait, une grande liberté est laissée quant à la quantité à servir :au verre, au quart de litre, au demi-litre ou encore au litre. C’estpour cela que Laura Stamatiou, directrice du restaurant Café Ginette, situé à Toulouse (31), a adopté cette technique. Elle cite un autre intérêt du vin en KeyKeg : écologique. « Le plastique est entièrement recyclable, je peux donc le trier. Ce qui nous correspond parce que nous nous inscrivons dans une démarche écologique, nous évitons les déchets plastiques et nous compostons », détaille-t-elle.

Le fût permet en outre un gain de place lorsqu’il est entreposé.Un fût de 20 litres représente en effet 26 bouteilles de 75cl. Mais,« il n’y a pas que la praticité, il y a aussi l’impact carbone », lanceCéline Maguet, cofondatrice de Soif, spécialisée dans la création de bars à vin sur les festivals de musique, avant de préciser : « Lefût KeyKeg à vide pèse 1 kg, quand une bouteille vide pèse entre 300 et 700g , donc multipliés par 26 c’est beaucoup plus polluant. » Ce contenant permet aussi un gain de temps au restaurateur. Au lieud’aller chercher une bouteille, de la déboucher et de la servir, unsimple tirage est nécessaire pour la bière ou le vin à la pression.

Laura Stamatiou du Café Ginette, a relevé une augmentation deses ventes et de ses marges sur le vin, « tout en restant à des prix attractifs pour les consommateurs », avec un verre compris « entre3,50 et 4€ ». Antoine Oran des Assembleurs prévient toutefois :« C’est un parti pris de ne pas trop monter en gamme parce qu’à partir d’un certain prix, les gens s’attendent à une bouteille. » D’ailleurs, les deux contenants ne sont pas forcément concurrents et peuvent se révéler complémentaires dans l’offre du restaurateur avec par exemple des bouteilles réservées aux grands crus.

Si levin en vrac a parfois mauvaise presse, c’est à cause de l’image négative du cubi, associée à de la boisson de basse qualité. Néanmoins, les retours des clients qui ont consommé dans les établissements proposant du vin à la pression se révèlent positifs. « Celales intrigue, avoue Jean-Baptiste Hausséguy de l’Aéro. Donc nousleur expliquons. Mais nous proposons au client de goûter et le débats’arrête alors de lui-même. Je pense que c’est une solution qui a de l’avenir. »

Dans son établissement, Laura Stamatiou a elle aussi choisi la pédagogie avec ses clients, en organisant une soirée événement lors de l’installation de la tireuse à vin et en prévoyant des ardoises sur le bar et des encarts dans le menu détaillant les nombreux avantages. Une méthode qui a vraisemblablement portéses fruits. « Aujourd’hui, il n’y a plus besoin d’en parler aux clients,nous avons un public friand de vin à la tireuse », déclare-t-elle.

Ducôté de Tony Bonnardel du Bar de l’Hôtel de Ville à Vienne, lesclients ne prêtent même pas attention au changement : « L’écrasante majorité des gens ne se posent pas la question. Ils demandent par exemple un verre de côtes-du-rhône, tout simplement. » Finalement, les vins proposés en fût, comme les bières, ne sont pas synonymes de produits bas de gamme. « Les vignerons qui mettent en fût adoptent aussi la bouteille. Seul le contenant change », souligne Céline Maguet de Soif.

Antoine Oran conclut sur l’utilité de ce mode de consommation : « La volonté était de recruter de nouveaux consommateurs de vin, en s’inspirant des codes des brasseries, pour rendre le vin plus accessible et plus fun. Avec la bière il n’ya pas de complexes. » Le pari est en passe d’être réussi.

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