Mocktails, une créativité renouvelée

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Le cocktail, indispensable des cartes de boissons, n’est pas hermétique au phénomène du sans alcool. Au contraire, le mocktail, comme il est surnommé, s’est installé dans les CHR pour répondre à une demande de plus en plus importante. Aidés par une offre élargie en mixers et spiritueux sans alcool, les bartenders peuvent proposer des recettes originales et faire valoir leur expertise.

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Les cocktails créatifs sans alcool ont désormais le vent en poupe et s'invitent dans les CHR. Crédits : Unsplash

L’habitude du cocktail est fortement ancrée en France. Il s’agit même de la quatrième boisson préférée des consommateurs, à 29% selon l’édition 2023 du baromètre Sowine-Dynata. De plus, 35% des Français déclarent s’intéresser à l’univers de la mixologie, quand 65% consomment des cocktails. Véritable boisson festive, le cocktail s’ouvre de plus en plus à l’univers du sans-alcool. D’ailleurs, le débat s’ouvre déjà sur la dénomination à donner à la boisson : mocktail ou cocktail sans alcool ? Matthias Giroud, bartender cofondateur de la société de conseil en mixologie L’Alchimiste, et ancien responsable monde du bar pour le groupe George V Eatertainment, qui possède le Buddha Bar (Paris, 8e), a un avis tranché : « Le terme mocktail est péjoratif, le mot est moche ! ». Et pour cause, « mock » désigne en anglais quelque chose de faux ou de factice. Cela insinue donc que les cocktails sans alcool reviennent à constituer de simples imitations de ceux alcoolisés, qui, quant à eux, correspondent aux originaux. Mais, les termes choisis illustrent différentes tendances dans l’essor de la boisson, qui se sont suivies et qui coexistent aujourd’hui. « Au début, il s’agissait uniquement d’une copie d’alcool, indique Matthias Giroud. Mais le futur ne repose pas sur cette idée. Avant, il y avait du virgin mojito, de la pina colada, alors qu’aujourd’hui nous voulons de vraies recettes. »

Celui qui occupe également la fonction de vice-président de l’Association des barmen de France (ABF) estime ainsi que les mocktails peuvent développer la créativité des bartenders par l’élaboration de recettes originales et spécialement imaginées. Il ne s’agit donc plus de simplement transposer une recette d’un cocktail alcoolisé dans une version sans alcool. « Cela se démocratise depuis quelques années, avec une vraie recherche de créations qui sortent un peu de l’ordinaire et non pas seulement des jus de fruits. L’enjeu est de proposer des boissons qui tiennent la route sans l’alcool », explique quant à lui Hadrien Descamps, chef de marques CHD France chez le sirupier Monin. Un avis partagé par Barkan Cohen, Brand Manager Senior Schweppes chez Suntory Beverage & Food France. « Dans les CHR plus sélects, l’attente est la même que pour les cocktails classiques : une recette unique », abonde-t-il. Tout comme Quentin Gatineau, responsable réseau CHD-CHR pour la cave coopérative Jaillance, notamment spécialisée dans la clairette de Die, mais qui propose également depuis sept ans des Bulles de muscat sans alcool, à base de leur cépage principal.

Une demande accrue du sans-alcool

« Quasiment tous les bars nous disent qu’il existe une demande de sans-alcool et que le client veut quelque chose de sympa, qui ne se limite pas à un jus de tomates », assure Quentin Gatineau. Et pour cause, au même titre que pour un cocktail alcoolisé, le consommateur s’attend à une composition complexe et mûrement réfléchie, offrant une réelle plus-value. « Il y a une demande de qualité. La personne qui paie 12€ ne veut pas un produit mal dilué, mais de la complexité avec de la longueur en bouche », relève d’ailleurs Ludovic Derigny, Country Manager France de Fever-Tree, fabricant de mixers. Cette demande du consommateur peut alors apparaître comme une aubaine pour les professionnels du CHR. En effet, la science du bar peut être sublimée grâce à l’élaboration d’un mocktail équilibré et savoureux, illustrant le savoir-faire du mixologue. Ce qui est recherché dans un cocktail classique. « Cela peut être pour le barman une manière de montrer son expertise », assure Ludovic Derigny. Même son de cloche du côté de Matthias Giroud. « Proposer une carte sans alcool est dix fois plus difficile », confirme-t-il. Et pour cause, cela amène à « travailler des produits bruts, ce qu’on ne nous a pas appris parce que 90 % de la formation bar est axée sur l’alcool ».

Les mocktails se démocratisent depuis quelques années, avec une vraie recherche de créations qui sortent un peu de l’ordinaire et non pas seulement des jus de fruits.
Hadrien Descamps, Chef de marques CHD France chez Monin

Pour apporter de l’originalité et de la maîtrise, le professionnel peut donc requérir à des techniques particulières comme l’infusion ou la décoction, mais aussi décider de modifier la texture. Le bartender conseille d’ailleurs de « reprendre les techniques de cuisine ». Un monde qui n’est pas si hermétique à la mixologie que cela, comme le rappelle Matthias Giroud : « Les chefs de cuisine s’intéressent à cet univers. Nous avons toujours travaillé ensemble. Le meilleur combo est le chef, avec le mixologue et le sommelier. Il y a alors un complément d’expertise. » Celui qui collabore avec le chef multi-étoilé Pierre Gagnaire indique en outre que « le sans-alcool est plus facile à accorder avec les mets », citant en exemple la proposition de la cheffe Anne-Sophie Pic, récompensée de trois étoiles par le Guide Michelin pour son restaurant situé à Valence, dans la Drôme.

Le plein d’innovations

La possibilité pour le bartender de laisser libre cours à son imagination dans les mocktails se trouve en outre facilitée par les fabricants de boissons qui n’ont de cesse d’innover. « Tous les industriels s’y mettent », note Matthias Giroud. Du côté de Suntory Beverage & Food France, qui dispose d’une gamme de mixers premiums avec Schweppes Sélection, la volonté est de « prioriser Schweppes parce que dès sa création en 1783, la boisson a été destinée à la mixologie », souligne Barkan Cohen. Et notamment la saveur Ginger Beer, qui constitue actuellement le parfum numéro un en hors-domicile et qui a connu « une énorme expansion en CHR ». Néanmoins, cela n’empêche pas la marque d’aller plus loin. Ainsi, depuis avril 2023, Schweppes propose un format spritz sans alcool prêt à boire. L’offre s’adapte ainsi à la demande, au niveau des mixers, mais également des spiritueux sans alcool. « Nous sommes distribués par la Maison du Whisky, qui propose l’offre The Avant Gardists par laquelle elle déniche les pépites. Dans celle-ci, une bouteille sur sept correspond à un spiritueux sans alcool », assure Ludovic Derigny de Fever-Tree.

Lancé en France en 2021, le spiritueux sans alcool Atopia est présenté comme « une alternative premium et la volonté de proposer une expérience cocktail qualitative et sans compromis sur le goût », comme l’indique François-Xavier Schom, Brand Manager Hendrick’s Gin & Innovations, au sein de William Grant & Sons France, qui possède la marque. En effet, la demande de qualité exprimée par les consommateurs ne se limite pas au cocktail final en lui-même, mais démarre au niveau de chacun des ingrédients utilisés. Pourtant, ces alternatives sans alcool ont longtemps véhiculé une image négative, synonyme de mauvaise qualité, avec des compositions notamment « trop sucrées », précise François-Xavier Schom. « Nous avons un produit naturel distillé de manière traditionnelle avec du genièvre et de la coriandre. Le processus de distillation s’effectue dans de l’eau pour éviter la création d’alcool », développe-t-il, avant de poursuivre : « Avec Atopia, nous avons de la complexité et de la profondeur avec une palette organoleptique très riche. Ce qui permet de préparer des cocktails très élaborés. » Ce type de boisson est désormais plébiscité par les bartenders, parce qu’il possède la même qualité qu’un produit alcoolisé : le goût. « C’est l’argument premier parce que la clé d’entrée est le plaisir », rappelle François-Xavier Schom. Atopia a ainsi sorti, en début d’année 2023, la référence Rhubarb & Ginger, en complément du Spiced Citrus.

Une nouvelle offre

Les CHR ne s’y sont d’ailleurs pas trompés et nombre d’entre eux prévoient sur leurs cartes une offre de mocktails. « Aujourd’hui, presque tous les bars en proposent », énonce Ludovic Derigny de Fever-Tree. Le mixologue Matthias Giroud en est pour sa part convaincu, le cocktail sans alcool représente désormais un incontournable. « Il faut absolument prendre le pas, c’est important, insiste-t-il. En proposant des cocktails sans alcool, les CHR verront qu’ils obtiendront une vraie reconnaissance de leurs clients. » Celui-ci soulève en outre l’argument de la rentabilité. Il n’y a finalement nul besoin pour un professionnel des CHR d’élaborer une création sophistiquée. « C’est à la portée de tout le monde », assure-t-il, avant de donner un exemple : « La macération ou l’infusion sont assez simples. Vous prenez du jus de pomme, vous mettez dedans du thé Earl Grey et vous obtenez votre création. »

L’offre est d’autant plus nécessaire que la cible s’est considérablement élargie et ne se limite plus aux seules personnes ne pouvant pas boire d’alcool. « Il existe un large spectre de clients », confirme Mathilde Boulachin, à la tête de Pierre Chavin, fabricant notamment des vins sans alcool depuis 10 ans et qui a récemment dévoilé la gamme Florentina de cocktails sans alcool prêts à boire. Elle a d’ailleurs créé sa marque à l’issue de sa grossesse. « Aujourd’hui, ce sont davantage des personnes qui ne veulent pas boire de l’alcool à un moment donné », complète Matthias Giroud. En effet, à l’occasion d’un déjeuner au restaurant par exemple, pour ne pas ressentir durant l’après-midi le contrecoup des effets de l’alcool ou parce qu’il est question de conduire, le sans alcool est privilégié. Un choix qui est maintenant assumé et facilité au regard de l’offre en présence. « La consommation est plus affirmée, nous n’avons aucun problème à nous diriger vers des mocktails », estime Mathilde Boulachin.

Aux prémices de la créativité

Les fabricants l’ont bien compris et certains accompagnent même les CHR dans la création de cocktails sans alcool. « Nous intégrons toujours une ou deux recettes de cocktail sans alcool sur nos fiches produit, nos recettes et lors de nos prises de parole parce qu’il s’agit d’une vraie tendance sur le terrain », abonde Hadrien Descamps de Monin. La thématique sans alcool fait en outre partie de la formation que l’entreprise française dispense. De son côté, la coopérative Jaillance a également conçu quelques recettes à partir de ses Bulles de muscat sans alcool, telles que « Athènes mon amour », composé également d’eau gazeuse au mastic et de jus de citron jaune, ou « Sweet Dreams », contenant aussi du jus de bissap et de citron vert. Terminé donc le traditionnel et non moins célèbre vodka Martini, « au shaker, pas à la cuillère », dont raffole James Bond, l’espion le plus connu de la planète ? « Cela ne veut pas dire que nous arrêtons l’alcool, rassure Matthias Giroud. Je veux juste que l’offre créativité en alcool soit la même que celle en sans-alcool. »

Il estime par ailleurs que le secteur n’est actuellement qu’aux « prémices de la créativité » des bartenders. Enfin, la tendance du cocktail sans alcool devrait continuer à se développer en France. « Le marché français est encore émergent, mais aux États-Unis et au Royaume-Uni, c’est plus ancien et il s’agit d’une tendance de fond », note François-Xavier Schom. Il se veut confiant pour l’avenir. « Il y a aujourd’hui des signaux faibles sur le sans-alcool, qui montrent que l’engouement sera plus fort. Par exemple, la bière sans alcool n’est plus un marché émergent, au contraire elle est très forte », ajoute-t-il. Mathilde Boulachin y croit aussi et propose une comparaison : « Ce sera comme dans l’univers du café. Le décaféiné a commencé à percer avec difficultés et est aujourd’hui complètement accepté. » Trinquons alors à la santé du cocktail sans alcool.

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