Énergie : en pleine crise

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Factures en hausse, risque de pénurie, appels à l’économie… En pleine crise du gaz et de l’électricité, les restaurateurs sont au premier rang et doivent à tout prix réagir afin d’éviter le pire.

Photo d'illustration énergies.
Photo d’illustration énergies. Crédits : Jeanne Menjoulet / Flickr.

Le constat est sans appel : les prix de l’énergie atteignent des sommets. « Nous notons une hausse de 30 % à 50 % des factures de gaz et d’électricité pour nos professionnels », confirme d’emblée Franck Trouet, délégué général GNI Paris Île-de-France. Alors qu’en moyenne le poste de l’énergie correspond à 7 % des charges d’exploitation d’un restaurant, la flambée des tarifs a de quoi inquiéter les professionnels. « Nous savons pertinemment que nos factures sont multipliées par dix, c’est surréaliste », note Christophe Cédat, patron du Café 203 à Lyon.

Les PME sont d’ailleurs les premières touchées par ces augmentations. « La plupart du temps, aucun accord n’existe avec les fournisseurs d’énergie, donc les petites et moyennes entreprises se retrouvent sans moyen de négociation possible », abonde Bénédicte Caron, vice-présidente chargée des affaires économiques et fiscales de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises). Si la facture annuelle moyenne d’un restaurateur est de 3.300 € pour l’électricité selon Engie, ce chiffre pourrait considérablement augmenter dans les mois qui viennent. En effet, toutes les offres commerciales d’électricité (hors TRVE – Tarifs réglementés de vente d’électricité) ont vu leurs prix s’envoler de 77 % depuis septembre 2021, d’après l’indice des prix de Selectra.

Une multitude de causes expliquent cette situation critique, qui pourrait bien plonger les restaurateurs dans une crise sans précédent. Si pour les particuliers et certains professionnels, l’équipe de Jean Castex a gelé le prix du gaz et limité la hausse de l’électricité à 4 %, de nombreux CHR ne peuvent pas en bénéficier. « Pratiquement aucune PME n’a accès au bouclier tarifaire », déplore Bénédicte Caron.

L’État nous répond que nous ne pouvons pas bénéficier du bouclier tarifaire, car nous sommes de trop gros consommateurs
Ludovic Poyau, Président de la commission Développement durable de l’UMIH

Seules les entreprises éligibles aux tarifs réglementés de vente d’électricité sont concernées, si elles ne comptent pas plus de 10 employés et réalisent moins de 2 M€ de chiffres d’affaires. « Le bouclier tarifaire doit être accessible à tous les professionnels, c’est une demande que nous avons déjà formulée pendant la campagne présidentielle », mentionne Franck Trouet. Même son de cloche du côté de l’UMIH. « L’État nous répond que nous ne pouvons pas bénéficier du bouclier tarifaire, car nous sommes de trop gros consommateurs », ajoute Ludovic Poyau, président de la commission Développement durable de l’UMIH et gérant de l’Auberge du Cheval Blanc à Selles-Saint-Denis (41).

Les syndicats rappellent que d’autres mesures ont été mises en place, à l’image de l’abaissement de la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité). Les entreprises particulièrement affectées peuvent aussi demander certaines aides, mais les conditions sont nombreuses. « Le problème est que ces aides n’existent que pour les entreprises déjà très en difficulté, cela arrive donc trop tard, il faudrait aider avant que la situation ne soit critique », soulève Franck Trouet.

Atteindre la sobriété énergétique

Toutefois, le prix n’est pas le seul problème. « Il y a une inconnue pour cet hiver, c’est la météo, et si nous subissons des vagues de froid intense, ce sera compliqué pour les entreprises », mentionne Bénédicte Caron. Devant les risques de pénuries, la Première ministre Élisabeth Borne a elle-même appelé les entreprises à préférer « les économies choisies » aux « coupures subies » 1. « Comme nous n’avons aucune marge de manœuvre pour négocier les prix avec nos fournisseurs, notre seule solution est de faire des économies d’énergie », constate Ludovic Poyau. D’ailleurs, depuis cet été, 64 % des CHR ont décidé de diminuer leur consommation en énergie, selon une enquête UMIH-CPME. « Les idées ne manquent pas pour réduire la consommation, et des économies peuvent être réalisées rapidement », ajoute-t-il. Il assure que des gestes simples peuvent faire baisser la facture d’électricité, en changeant ses ampoules par des LED ou en éteignant la machine à glaçons la nuit, par exemple. En outre, selon le fournisseur de gaz et d’électricité Engie, des réflexes et des « gestes plus adaptés » appliqués au poste de cuisson, à la production de froid, à l’éclairage ou à la ventilation permettraient d’économiser jusqu’à 50 % sur le total des dépenses énergétiques.

Il est notamment recommandé aux restaurateurs de laisser refroidir leurs préparations avant de les mettre au réfrigérateur, de contrôler la fermeture de leurs meubles frigorifiques, de dégager les condenseurs de leurs équipements ou encore d’éteindre leur machine à café entre deux services. « On peut également rompre avec certaines habitudes et ne pas allumer le gaz quand on arrive en cuisine, utiliser des couvercles pour les cuissons, veiller à ne pas trop ouvrir les chambres froides ou décongeler les produits sans avoir recours à l’énergie », propose Franck Trouet.

Nous n’avons pas attendu les trois dernières années pour éteindre notre façade et notre enseigne
Christopher Préchez, Copropriétaire du Petit Bouillon Pharamond à Paris

Mais éviter les pertes et le gaspillage est comme deux mantras inscrits au cœur même du métier de restaurateur. Les professionnels, tributaires de ces énergies fonctionnelles à leur activité, ont déjà modifié leur comportement. « Nous n’avons pas attendu les trois dernières années pour éteindre notre façade et notre enseigne. Ces réflexes sont dus à une prise de conscience d’un trop de consommation inutile et ne sont pas liés à l’augmentation actuelle du prix des énergies », atteste Christopher Préchez, copropriétaire du Petit Bouillon Pharamond à Paris.

Il précise qu’un minuteur a été installé pour que l’enseigne du restaurant s’éteigne automatiquement à 2 heures du matin. L’effort se poursuit aussi entre les services, puisque les équipes veillent à éteindre tout ce qui peut l’être, comme les machines à café. « Nous restons cependant un restaurant, les frigos restent donc obligatoirement allumés, mais nous faisons déjà attention à ce que tout ce qui n’est pas nécessaire soit éteint », assure-t-il.

Continuer malgré tout

Les restaurateurs sont réalistes. « Nos marges vont être réduites et il va falloir trouver des solutions, mais nous ne sommes pas inquiets », affirme Christophe Cédat. Un sentiment partagé par Christopher Préchez ainsi que par Damien Houssais, gérant de Chez Gustave à Paris. « Je ne suis pas préoccupé par l’hiver qui arrive, car finalement payer 1.000 € de plus à la fin de l’année, ce n’est pas très grave », confie ce dernier. S’ils sont prêts à faire des efforts pour réduire leur consommation, les restaurateurs n’ont pas l’intention de tenter une nouvelle négociation de contrat auprès de leurs fournisseurs d’énergies. « Je peux encore espérer grappiller quelques euros auprès de mes fournisseurs, mais c’est la seule marge de manœuvre sur laquelle je puisse espérer faire des économies », commente Damien Houssais.

Les professionnels s’accordent également pour dire que les conseils donnés à la volée pour limiter leurs « dépenses et faire un geste écologique », selon les objectifs évoqués par Élisabeth Borne, font finalement appel au bon sens. Ils ne sont néanmoins pas constructifs pour eux, alors qu’ils ont déjà fait les frais de deux confinements successifs. « Il faut passer par la prise de conscience et cette manière infantilisante avec laquelle les représentants du Gouvernement et du secteur nous adressent des conseils n’est pas durable et ne nous fait pas avancer », estime Christophe Cédat.

Devenir autonomes

Pour les deux syndicats, une autre solution serait envisageable : permettre aux professionnels de produire eux-mêmes de l’énergie, grâce à leurs détritus organiques. Ils pourraient en effet générer du biométhane, un gaz 100 % renouvelable produit à partir de déchets agroalimentaires. « Nous générons de nombreux déchets organiques, nous pourrions les valoriser ainsi. En mettant en place une véritable filière de valorisation de ces biodéchets, nous pourrions produire 10 % du gaz dont nous avons besoin », estime Franck Trouet, soulignant au passage l’obligation pour les professionnels de valoriser leurs biodéchets dès le 1er janvier 2024.

« Il serait intéressant également que les restaurateurs aient des subventions pour leur isolation ou pour l’installation de panneaux voltaïques », note Ludovic Poyau. Si certaines aides existent pour que les restaurateurs puissent accélérer leur transition écologique et donc réduire les coûts liés à l’énergie, notamment grâce à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), il faudrait davantage les généraliser. Mais au-delà de ces hausses records des tarifs de l’énergie, tous les coûts augmentent pour les professionnels des CHR, notamment les prix des matières premières et des services ainsi que les salaires. « Quand vous appréciez ces trois points, on aboutit à calculer que l’inflation subie par nos professionnels est de 14 % [contre 6 % à 7 % sur le marché général, NDLR], la situation est donc très tendue », tient à préciser Franck Trouet. Pour les deux organisa-tions syndicales, il faut continuer d’agir pour sauver la profession.

Depuis l’été 2021, les prix de l’électricité et du gaz en France ont fortement augmenté, en cause :

La hausse de la demande mondiale en énergie après la crise sanitaire, qui a entraîné l’augmentation des prix du gaz et du pétrole ;

Une importante dépendance de la France aux importations de gaz étrangères, dont russes ;

Les prix de l’électricité étant indexés sur ceux du gaz aux niveaux européen et français, ils ont naturellement connu une hausse significative ;

L’augmentation des prix de l’électricité s’est accrue depuis le début de la guerre en Ukraine, le
24 février 2022. Cela s’explique notamment par l’envolée des prix du gaz, dont la Russie limite progressivement les exportations ;

Près de la moitié des 56 réacteurs nucléaires sont à l’arrêt, notamment à cause de problèmes de corrosion. Cette situation oblige la France à importer de l’électricité, dont une partie provient des centrales thermiques étrangères, qui fonctionnent au gaz.

Notes
  1. Discours prononcé lors de la Rencontre des entrepreneurs de France (REF) du Medef le 29 août 2022.

Un article d’Alice Mariette et Andréa Deconche