Chauffage de terrasse : Paris ouvre la chasse

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Gare aux contrevenants ! La loi prohibe désormais de chauffer les terrasses ouvertes. Un décret datant du 30 mars 2022 offre par ailleurs la possibilité aux municipalités d’adapter le dispositif législatif. Dans la torpeur de l’été, le Conseil de Paris a décidé de durcir l’interdiction puis a enfoncé le clou, au début d’octobre, en bannissant le chauffage des terrasses et contre-terrasses équipées d’écrans et couvertes par des stores bannes.

Chauffage de terrasse Paris
Les radiants sont désormais bannis des terrasses fermées parisiennes. Crédits : star progetti.

Alors que l’interdiction de chauffer les terrasses des établissements est entrée en vigueur en début d’année, il n’était pas rare, mi-octobre, de voir des chauffages infrarouges s’allumer çà et là sur les terrasses des établissements. Certains tenanciers désiraient tout bonnement assurer le confort de leurs clients, en omettant plus ou moins volontairement qu’ils n’étaient plus autorisés à chauffer une terrasse ouverte. Si la plupart des exploitants n’ont pas pour intention de braver l’interdiction, d’autres, au contraire, entendent engager un bras de fer et défier la Mairie de Paris. Il faut dire que la nouvelle a de quoi les faire bondir : depuis un vote du Conseil de Paris, ils n’ont plus la possibilité de chauffer leurs terrasses, même fermées par des stores bannes et des écrans. Les conséquences potentiellement terribles pour les trésoreries des brasseries parisiennes méritent de revenir plus en détail sur l’enchevêtrement législatif qui a permis d’aboutir à une telle mesure.

Depuis la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, se pose le principe de l’interdiction du chauffage en extérieur sur le domaine public. Deux exceptions sont toutefois prévues par le décret du 30 mars 2022 qui ajoute, notamment, que seule est autorisée l’utilisation, sur le domaine public, de systèmes de chauffage ou de climatisation dans «un lieu couvert, étanche à l’air et fermé par des parois latérales rigides par nature, sauf décision contraire de l’autorité gestionnaire du domaine». Les terrasses et contre-terrasses des CHR de France et de Navarre sont donc concernées par la mesure et Paris, bien entendu, ne déroge pas à la règle.

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Tous les dispositifs électriques ou au gaz sont concernés.

Ce décret fixe par ailleurs un cadre d’interdiction minimal et prévoit ainsi l’adaptation de l’interdiction de l’utilisation, sur le domaine public et en extérieur, de systèmes de chauffage ou de climatisation. Il permet donc, à l’échelle des municipalités, de durcir les règles si une ville le souhaite. C’est le chemin qu’emprunte la Ville de Paris. En effet, par un arrêté du 29 juillet dernier, le Conseil de Paris a décidé d’aggraver l’interdiction nationale en limitant, dans la capitale, la possibilité de chauffer les espaces de restauration extérieurs aux terrasses hermétiquement fermées à l’exclusion de toute autre. Maître Philippe Meilhac, avocat qui défend des exploitants dans différentes affaires qui les opposent à la Mairie de Paris, explique que l’expression de « lieu couvert, étanche à l’air et fermé par des parois latérales rigides par nature» laissait pourtant entendre que «pourraient être chauffées non seulement les terrasses fermées mais aussi les terrasses ouvertes à condition d’être protégées à la fois sur les côtés, par des écrans perpendiculaires et parallèles à la façade, et, sur le dessus, par un store».

La Ville de Paris va plus loin

La réalité est tout autre, puisque la Mairie de Paris a, en quelque sorte, alourdi la notion de terrasses fermées. Les syndicats professionnels, Umih et GNI, avaient pourtant obtenu des garanties de la part des pouvoirs publics : «La protection d’une terrasse par un store ou un dispositif souple pouvait répondre à l’exigence de “ lieu couvert ” fixée par le décret et n’impliquait pas nécessairement un toit “ en dur ”.» Mais l’arrêté du 29 juillet prévoit désormais que «seule est autorisée l’utilisation de systèmes de chauffage ou de climatisation consommant de l’énergie et fonctionnant dans les terrasses couvertes, étanches à l’air et fermées par des parois latérales rigides par nature, soit dans les terrasses fermées au sens de l’article P.2 du présent règlement. Sont ainsi interdits, quel qu’en soit le mode, les chauffages et les dispositifs de climatisation dans tous les autres types d’installations autorisées au titre du présent règlement».

Philippe Meilhac constate que la Ville de Paris «a eu l’occasion de confirmer sa position dans une délibération mise au vote du Conseil de Paris, le 11octobre, visant à modifier les tarifs des droits de voirie applicables pour l’installation de dispositifs de chauffage en terrasse». Cette délibération précise en effet «qu’au regard des catégories de terrasses existantes dans le Règlement des étalages et des terrasses de la Ville de Paris, cette autorisation [de chauffer, NDLR] ne s’applique qu’aux seules terrasses fermées, autorisées par ledit règlement ». Et de préciser : «Ni les terrasses ouvertes, même équipées d’écrans parallèles et perpendiculaires et couvertes par des stores bannes, ni les contre- terrasses ne garantissent l’étanchéité à l’air.»

Enfin, si la mesure réduit la taxe pour l’utilisation de chauffages, en 2022, à 25% du montant habituel, elle fixe aussi un tarif applicable à partir de janvier 2023 pour les exploitants de terrasses ouvertes, protégées ou non, qui continueraient à utiliser du chauffage malgré son interdiction. La chose n’a rien d’illégale puisqu’une commune peut réclamer une redevance à un exploitant «qui occupe illégalement ou illicitement» le domaine public.

La majorité des établissements concernés

«Certains restaurateurs attendaient depuis des mois de savoir comment le décret serait adapté à Paris, regrette Philippe Meilhac. On leur a expliqué à quoi correspondait le cadre national de l’interdiction et ils ont équipé leurs terrasses en conséquence. Aujourd’hui, beaucoup ont investi pour rien.» Bon nombre d’établissements de la place parisienne sont concernés. Il suffit d’arpenter les rues et avenues pour se rendre compte qu’une majorité de terrasses dispose en effet d’écrans latéraux et de stores bannes qui peuvent constituer une surface dite fermée, mais pas une terrasse hermétiquement close. David Zenouda, qui exploite plusieurs établissements à Paris et préside la branche Nuit de l’Umih, prévient que la taxe pour l’année 2023 concernera aussi les CHR dont les chauffages seront encore présents, même éteints. «Pour ceux qui pensaient trouver une parade avec les stores bannes, c’est foutu. Cela génère de la colère chez les exploitants qui ont de grandes terrasses et qui voulaient utiliser des parois rigides pour clore leurs terrasses», ajoute David Zenouda.

On sait qu’actuellement des agents de la Ville de Paris circulent pour vérifier la bonne application de la loi
Philippe Meilhac, Avocat

«Il faut préciser que l’abaissement de la taxe de chauffage, pour l’année 2022, à 25% du tarif habituel, ne bénéficiera qu’aux patrons qui ont respecté l’interdiction depuis le 31 mars dernier. On sait qu’actuellement des agents de la Ville de Paris circulent pour vérifier la bonne application de la loi et on peut d’ores et déjà se demander si un complément de taxe, pour l’année 2022, ne sera pas demandé aux exploitants qui auront reçu une amende», s’interroge Maître Meilhac. Les agents ne peuvent verbaliser que les tenanciers pris en flagrant délit d’utilisation. À terme, on peut toutefois penser que la simple présence d’un chauffage éteint pourra attirer la suspicion. Contactée par L’Auvergnat de Paris, la Mairie de Paris n’a pas donné suite à nos sollicitations. Olivia Polski, adjointe chargée du Commerce, s’est toutefois exprimée dans les colonnes du quotidien Le Parisien du 13 octobre. Elle y indique que la verbalisation «n’est possible que si la police municipale constate, lors de son passage, que le dispositif est en cours d’utilisation» et que la taxe sur le chauffage de terrasse votée pour 2023 vient en fait «créer une indemnité d’occupation irrégulière du domaine public». Surtout, Olivia Polski donne le ton quant aux intentions de la majorité en la matière. On peut lire ainsi que la taxe votée pour 2023 «n’a pas pour but de permettre la réintroduction ou le maintien de ces dispositifs désormais interdits par la Loi, mais au contraire de participer à leur disparition».

Des patrons consternés

Paul Sebag, qui exploite Le Bistro 25, sur les Champs-Élysées, est abattu. «Nous pensions pouvoir conserver le chauffage en utilisant des stores et des paravents, mais ce n’est plus possible », soupire-t-il. Le restaurateur dispose d’une terrasse de 70 places et d’une contre-terrasse de 140 m2 (la plus grande de l’avenue) pouvant accueillir 120 convives. Durant la crise des Gilets jaunes, la terrasse du Bistro 25 avait été lourdement endommagée. «Nous avions investi près de 400 000 € pour nous équiper en stores autoportés, en mobilier ou encore en paravents. Le budget pour le matériel de chauffage dépassait quant à lui les 40 000 €», détaille le patron, qui a préféré démonter l’ensemble de ses chauffages de terrasse. Il a calculé que s’il bravait l’interdiction, la contravention pourrait s’élever à 1 400 € le m2, soit «200 000 € uniquement pour la contre-terrasse». Paul Sebag redoute que la clientèle déserte ses espaces extérieurs. Il propose bien des plaids à ses clients, mais ces derniers seraient, selon lui, réticents à les utiliser.

Devant ce coup de boutoir de la Mairie de Paris, les exploitants ne disposent malheureusement que de très peu de cartes en main. «Cela ne laisse plus beaucoup de perspectives aux propriétaires d’établissements désireux de fermer leurs terrasses pour les chauffer. La seule option est d’avoir un toit en dur ; nous n’avons aujourd’hui plus aucune possibilité de chauffer des terrasses fermées», estime David Zenouda. Celui-ci rapporte que beaucoup de patrons sont dans l’embarras. Certains avaient sacrifié les espaces ouverts, et donc fumeurs, au profit d’aires closes permettant de maintenir une activité satisfaisante. «Pour les brasseries, c’est la double peine», regrette-t-il.

Les fumeurs vont en effet devoir faire une croix sur la sempiternelle cigarette qu’ils avaient l’habitude de savourer confortablement installés sous un radiant. Une perspective qui fait tousser Pascal Ranger, patron de brasseries à Paris. «Le manque à gagner est énorme pour nous, cela peut représenter une baisse de chiffre d’affaires de l’ordre de – 20%», s’étrangle-t-il. Ce dernier, qui exploite 27 affaires, dispose de nombreuses terrasses équipées de stores bannes qu’il ne pourra donc plus chauffer l’hiver venu. Pascal Ranger se dit «catastrophé» alors que les investissements réalisés sur ses terrasses ne sont pas encore amortis.

iPascal Ranger ne peut plus chauffer ses terrasses équipées de stores bannes.
Pascal Ranger ne peut plus chauffer ses terrasses équipées de stores bannes.

« Quoi qu’il arrive, à l’heure des restrictions énergétiques, nous ne pouvions pas continuer à chauffer. C’est un combat perdu d’avance… Nous pouvons être tous mécontents, mais la solution c’est de trouver le moyen de chauffer les terrasses de façon écologique», affirme David Zenouda. En attendant, nombreux sont les professionnels à ne pas comprendre la position de la Mairie de Paris. «Certains patrons risquent d’aller vers la désobéissance, ils ont investi de lourdes sommes pour s’équiper », tempête Marcel Benezet, président de la branche Cafés, bars et brasseries. Celui-ci annonce que le GNI et ses adhérents «ne se laisseront pas faire». Marcel Benezet étudie la possibilité de porter une action en justice. «Il faut attaquer, ça devient dramatique, on ne peut plus travailler», martèle-t-il. Dans un contexte de hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, et alors que les exploitants s’inquiètent au sujet de l’étalement du remboursement des PGE, c’est un véritable coup dur pour la profession et les trésoreries. Les plus optimistes, à l’instar de Laurent Fréchet, président de la branche Restauration du GNI, misent sur un rapide changement des habitudes de consommation, du côté des fumeurs notamment, pour faire le plein en salle.