Reynaud Stéphane : le chef écrivain

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Depuis plus de 30 ans, dans trois restaurants successifs, Stéphane Reynaud, 55 ans, a défendu l’idée d’une bistronomie au plus près du produit. Il s’est aussi fait l’avocat de ce postulat dans ses livres. Tradition du vin vient de couronner cette carrière en attribuant La Bouteille d’or à son dernier restaurant, Oui mon général !

Le chef et écrivain Stéphane Reynaud. Crédit : Jean-Michel Déhais

La Bouteille d’or revient à la rive gauche. Comme l’a décidé le jury, le trophée épicurien prendra en avril la direction de Oui mon général ! (Paris 7e), où Stéphane Reynaud, le patron avec Nicolas Bessière, attend de pied ferme le cortège de Tradition du vin, association composée de bistrotiers chevronnés, de journalistes gastronomiques et d’amateurs éclairés, qui brandira le précieux trophée. Ce choix réconcilie les amateurs de bistrots populaires et les zélateurs de la bistronomie. Il y a deux ans, Stéphane Reynaud recevait le prix Lebey du meilleur bistrot de Paris.

Au-delà de ses talents de cuisinier populaire, il a écrit durant sa carrière plusieurs livres de cuisine. Son premier ouvrage, Cochon & fils, paru en 2005, a connu un succès de librairie. Son chef-d’œuvre, Ripailles, imposant volume de plus de 500 pages, fait partie des incontournables de la bibliothèque d’un gastronome digne de ce nom.

Une valeur sûre de l’édition

Il est devenu chez Hachette, une valeur sûre de l’édition culinaire d’abord chez Marabout, puis au Chêne. Ses tirages ont de quoi faire pâlir d’envie certains chefs couverts d’étoiles. Mais avec ses sujets, les terrines, la tripe, les barbecues ou les rôtis, Stéphane Reynaud a l’art de réveiller la gourmandise profonde. Il a même livré une demi-douzaine d’ouvrages sous pseudonyme et il collabore à plusieurs revues. Sa plume est recherchée et pas seulement parce que ses livres proposent des recettes réalistes sans fioriture, où le produit, sacré aux yeux de ce chef, tient toujours la vedette. Stéphane Reynaud séduit ses lecteurs en marge de ses recettes, en évoquant l’existence, avec une bonne dose d’humour teintée de philosophie, et surtout de joie de vivre. Il reconnaît lui-même que ses recettes sont « un prétexte pour écrire entre les lignes ».

Il a commencé à publier à 35 ans, à l’âge où la jeunesse commence à filer entre les doigts. Ce cuisinier qui a perdu sa mère alors qu’il était encore enfant, se révélait d’autant plus sensible à la fragilité de l’existence. Il reconnaît sans ambages qu’il souhaitait laisser quelque chose derrière lui : « Un livre, c’est pour toujours, c’est posé. J’ai pensé que quoi qu’il arrive, mes enfants garderaient toujours un souvenir de moi. » C’est aussi l’âge où ce chef, qui aurait pu légitimement attaquer un de ses livres par la phrase « longtemps je me suis couché tard », a fini par s’assagir. Après des années de fêtes nocturnes dans ses établissements et les bistrots parisiens, Stéphane Reynaud s’est acheté une conduite, même s’il se souvient toujours avec nostalgie des nuits passées au Duc de Richelieu (Paris 12e). La fin des années 2000 a aussi coïncidé avec des retours de plus en plus fréquents sur ses terres natales, à Saint-Agrève, en Ardèche, non loin de la frontière auvergnate.

Il y a une dizaine d’années, il a franchi le rubicond en rachetant un corps de ferme qu’il a restauré au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. C’est même aujourd’hui sa résidence principale. Stéphane Reynaud a été en partie élevé par ses grands-parents maternels, bouchers en Ardèche. C’est de cette période qu’il tient sa vocation de cuisinier et l’amour du terroir qu’il définit ainsi : « Ces bons produits servis à la sauce amicale qui donnent les joues rouges et envie de saucer. »

Un homme libre

Brillant élève, un bac mathématique en poche, il postule pour intégrer un BTS à l’école hôtelière d’Illkirch (Bas-Rhin). L’établissement refuse pourtant son dossier alors qu’il est parallèlement admis dans une école vétérinaire. « C’est durant les vacances que j’ai appris que grâce au jeu des listes d’attente j’étais finalement admis à Illkirch, se souvient-il. Par la suite, j’ai compris que les responsables doutaient des motivations d’un élève bien noté. Cela en dit long sur le cas qu’on faisait des métiers de la restauration. » Curieusement, cet apôtre du fait-maison a débuté chez Sodexo. Il y est même resté trois ans pour superviser un des restaurants de la chaîne Oh! Poivrier!.

Mais le carcan est vite devenu trop lourd pour cet homme épris de liberté. En 1992, il crée rue Didot (Paris 14e) son premier bistrot à l’enseigne Le 14 juillet, il y aura toujours des lampions. Non loin de là, dans le même esprit, Yves Camdeborde ouvrait la Régalade. La bistronomie était née donnant un sérieux coup de vieux à la cuisine nouvelle jusqu’alors triomphante. Dans les années 2000, le chef a poursuivi l’aventure à la Villa 93 à Montreuil, toujours avec son fidèle associé du départ Nicolas Bessière qui l’a ensuite suivi à Oui Mon général !

Entre les deux établissements, Stéphane Reynaud a fait une incursion là où on ne l’attendait, pas à Londres où il a vécu le crépuscule de l’empire de restauration de Sir Terence Conran. Il a supervisé Tratra, un restaurant de 150 places largement dédié au cochon. Cette escapade a duré près d’un an, mais le chef a finalement préféré rentrer en France pour y créer juste avec le confinement Oui Mon Général ! Pour se faire, il a choisi une rue très tranquille du 7e arrondissement. Une manière pour lui d’animer une auberge de campagne à Paris.

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