Sirop, de nouveaux codes

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Ces dernières années, le sirop a connu une mue cruciale, poussée par l’évolution des habitudes de consommation. À l’origine mélangée à de l’eau, la boisson fait désormais partie intégrante des cocktails et des boissons gourmandes et demeure plus que jamais bien visible sur les cartes des CHR. Les fabricants l’ont bien compris, avec une offre sans cesse renouvelée.

Sirop
Visuel de cocktail avec du sirop. Crédit DR.

Lors de sa traditionnelle conférence de presse annuelle, le distributeur de boissons C10 a pu donner une idée de la santé du secteur des sirops. Et ses chiffres de vente sont éloquents, avec +16,8% en valeur en 2023, par rapport à 2022. « Le marché des sirops est assez stable depuis plusieurs années, que ce soit en CHR ou en grande distribution. C’est la tendance », analyse ainsi Camille Delettrez, directrice marketing de C10. L’énorme hausse de la valeur s’explique par ailleurs par l’impact de l’inflation. Alors que le marché français représente 140 millions de litres, environ 25 à 30 millions de litres ont été commercialisés à destination des CHR. « L’année 2023 a été correcte, le monde de la restauration ne s’est pas mal comporté », abonde Loïc Couilloud, président du Syndicat français des sirops, qui représente 16 entreprises adhérentes.

Ce dernier savoure également le fait de voir « revenir les sirops sur les cartes », et ce, grâce à une diversification de son utilisation. Et pour cause, « il se révèle extrêmement versatile dans son usage », précise celui qui est également P-DG du sirupier 1883 Maison Routin. En effet, une évolution des habitudes de consommation est à noter. La traditionnelle menthe à l’eau ou le demi-pêche, mélange de bière et de sirop de pêche, a laissé place à la vague fulgurante des cocktails, alcoolisés ou non. « Il y a 30 ans, le sirop était très diffusé dans les CHR, avec la menthe à l’eau par exemple. Aujourd’hui, il a quasiment disparu. Il est aujourd’hui beaucoup plus utilisé pour réaliser des cocktails », confirme alors Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, entreprise spécialisée dans les études de marché pour la consommation alimentaire hors domicile.

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1883-Maison Routin dispose d’une gamme de 127 parfums. Crédit 1883-Maison Routin.

De plus, le cocktail n’est plus l’apanage des bars dédiés à la mixologie. Tout type de CHR s’y met. « Même dans des points de vente plus classiques, la culture cocktail apparaît. Les cartes se développent, certes, parfois avec des créations classiques, mais nous ne le voyions pas il y a quelques années. Cela montre la volonté des CHR de satisfaire la clientèle qui se trouve en demande », constate Priscilla Guerrier, chargée de la Market Intelligence chez Monin.

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L’utilisation du sirop s’est diversifiée ces dernières années. Crédit Monin.

Et parmi ces créations, « il y a la grande tendance des gin tonic sucrés avec du sirop », note Élisabeth Poisson, directrice commerciale et marketing de Bigallet, sirupier situé dans l’Isère qui commercialise chaque année environ 2,5 millions de cols, dont le quart pour le CHR. « Le sirop peut être l’une des stars du sans-alcool. Les tendances de fond sont favorables au sirop », ne manque-t-elle pas de préciser. Aux côtés des cocktails, le phénomène des boissons gourmandes se révèle également tout aussi important, poussé par le fort développement des coffee shops dans l’Hexagone. « La base de leurs cartes est la boisson aromatisée au sirop », ajoute-t-elle ainsi.

Une large diversité de parfums

L’évolution des habitudes tend à harmoniser la consommation française avec celle mondiale. En effet, alors que le sirop à l’eau se révèle très français, l’utilisation dans les cocktails et particulièrement dans les boissons chaudes est traditionnelle à l’étranger. En outre, « nous voyons beaucoup de Bubble Tea, plus que de barista en France », révèle, quant à elle, Sophie Canon, responsable marketing et communication de Vedrenne, marque qui commercialise 300.000 bouteilles à destination des CHR, pour une production totale pour la France de 450.000 cols.

Néanmoins, Camille Delettrez, de C10, calme les ardeurs : « Il existe une vraie dynamique sur les nouvelles tendances, sur les parfums qui révolutionnent la consommation et s’adaptent bien aux cocktails et mocktails. Mais il serait faux de dire qu’ils ont chamboulé le secteur. Cela reste de petits volumes. » Elle dresse un constat analogue du côté des sirops destinés aux baristas : « Des choses émergent mais cela reste des niches. Le sirop ne fait pas tout. Il ne suffit pas d’ajouter du sirop caramel pour en faire un caramel macchiato. Il faut un certain savoir-faire. »

Pour autant, la diversification des usages a conduit à un élargissement substantiel de la gamme, notamment des parfums proposés. Les chiffres sont révélateurs. Quand Vedrenne dispose d’une offre de 43 parfums et Mathieu Teisseire d’une soixantaine, 1883 Maison Routin en propose 127, « avec des choses très pointues comme le sirop de baobab et des parfums chauds comme la vanille, le caramel, le brownie, ou la lavande », précise Loïc Couilloud, qui se fixe pour seule limite celle « de la conception aromatique », avant de citer le sirop de madeleine, issu d’un assemblage aromatique. Monin n’est pas en reste avec 100 à 150 parfums sur les références classiques.

Mathieu Teisseire
Les boissons chaudes tirent la catégorie des sirops. Crédit Mathieu Teisseire.
France Boissons
Le sirop est désormais un indispensable des cocktails. Crédit France Boissons.

« Nous sommes loin d’avoir tout atteint, nous développons la gamme des concentrés », assure même Priscilla Guerrier. La marque a même dévoilé durant le premier trimestre 2024 un nouveau parfum avec le sirop « Saveur roulé à la cannelle ». Du côté de Mathieu Teisseire, en complément de son offre pour boissons chaudes composée notamment des références chocolat praliné, chocolat blanc, pain d’épices, ou encore pop-corn, la référence Thé Chaï Masala fait son apparition : « un sirop destiné au Chaï Latte », comme le précise Justine Morey, Marketing Manager The London Essence Company et Mathieu Teisseire pour Britvic France, qui indique une autre innovation : « Le sirop de piment vert, pour le cocktail, avec un côté piquant et de la fraîcheur. »

Malgré une innovation sans limite de la part des producteurs, la consommation se concentre autour d’une poignée de parfums, tels que le citron, la fraise, la grenadine, la menthe et la pêche. « Les gammes sont assez étoffées mais les fondements du bar restent sur cinq à six parfums tandis que les autres constituent des compléments », admet alors Camille Delettrez, de C10.

La quête de naturalité

Par ailleurs, le sirop, à l’instar des autres boissons, est touché, à des degrés divers, par la demande du consommateur en des produits plus sains. La quête de naturalité paraît ici fondamentale. « Une préoccupation croissante pour des boissons plus “naturelles » », note ainsi Emmanuelle Lecointe, directrice des achats et des catégories au sein du distributeur France Boissons. « Il existe un effort sur le côté naturel, avec de plus en plus de produits sans conservateurs et sans additifs », ajoute Loïc Couilloud, satisfait.

L’approvisionnement peut également entrer en ligne de compte et ce, d’autant plus pour les marques à forte image locale, comme Klein & Wanner, appartenant à Terroirs Distillers. « Nous sommes basés en Alsace et nous travaillons une majorité de produits alsaciens. La notion de locavorisme nous semble donc importante », témoigne Viviane Cornieux, directrice marketing du groupe. Les 100.000 bouteilles annuellement produites sont pour l’instant destinées au Grand Est, avant d’envisager une plus large distribution. Logiquement, la marque référence « avant tout des parfums régionaux tels que la mirabelle ou la quetsche ; nous ne travaillons pas la banane ou le fruit de la passion ».

Dans la même veine, l’isérois Bigallet se fournit notamment en betteraves des Hauts-de-France et cassis de la Drôme. « Le côté local qualitatif fonctionne, assure Élisabeth Poisson. Nous sommes très puissants en Auvergne-Rhône-Alpes. » Pour expliquer l’attention croissante des CHR portée à l’approvisionnement, Sophie Canon, de Vedrenne, avance un renouvellement des restaurateurs : « Je pense que beaucoup de CHR sont repris par la nouvelle génération âgée de moins de 30 ans, qui fait attention au sourcing local. » Alors que les consommateurs recherchent au quotidien des produits moins sucrés, la demande apparaît moins forte en hors domicile. « Le nolow sugar est très important. Une majorité des Français veulent baisser leur consommation de sucre mais il existe peu d’offres en CHR. Nous poussons les concentrés et Pure by Monin, de l’aromatisation sans sucre ajouté », explique Priscilla Guerrier.

Bigallet
Bigallet citron – gingembre. Crédit Bigallet.
C10 Fuego
C10 Fuego. Crédit C10.

Même son de cloche du côté de 1883 Maison Routin : « Le sucre n’est pas vraiment un sujet en CHR, les produits moins sucrés représentent de petites ventes. » À l’image du bio qui peine aussi à se faire une place de choix. Cependant, il n’y a ici rien de surprenant. « Il y a un besoin d’un côté ultra-gourmand, le CHR est le lieu pour se faire plaisir », analyse Justine Morey, représentante de Mathieu Teisseire. Enfin, malgré les évolutions, le sirop conserve une qualité indispensable : sa dimension économique. « Cette caractéristique constitue un véritable atout, particulièrement dans le contexte actuel d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat », défend Emmanuelle Lecointe, de France Boissons. Et Élisabeth Poisson, de Bigallet, de conclure : « Le sirop reste très rentable. Un litre coûte environ 6-7 euros pour plus de 45 verres. C’est sans doute un point sur lequel argumenter. »

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