Jessica Préalpato, naturellement cheffe
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Jessica Préalpato incarne pleinement la naturalité, le concept qui guide ses créations. Ainsi animée par cette quête perpétuelle, elle propose des desserts cuisinés où le produit n’a de cesse d’être sublimé. À l’Hôtel San Régis (Paris 8e), la cheffe pâtissière poursuit cette philosophie à travers un goûter très personnel.

Jessica Préalpato pourrait être surnommée « la cheffe pâtissière de la naturalité ». Or, le concept de pâtisserie tel qu’il est défini la plupart du temps ne lui convient pas réellement. « Je serai toujours une mauvaise pâtissière de boutique. Cela ne m’a jamais intéressée de faire des pesées ou de prendre des températures », justifie cette dernière, dans le hall de l’Hôtel San Régis (Paris 8e), où il est possible de déguster sa vision personnelle et naturelle du goûter, depuis septembre dernier.
Pourtant, avec un père boulanger-pâtissier, Jessica Préalpato grandit au milieu des vitrines colorées de pâtisseries traditionnelles. « J’aimais vraiment ce qu’il faisait. Je me souviens de son gâteau Saint-Cécile et de sa crème chiboust. Aujourd’hui encore c’est ma crème préférée », déclare-t-elle en souriant. À cette époque, elle n’envisage à aucun moment de se tourner vers les casseroles, les fours et les fouets. « Je voulais étudier la psychologie pour enfants afin de comprendre les mécanismes humains et les façons d’être de chacun. Lorsque j’étais jeune, ce n’était pas une discipline à la mode comme aujourd’hui. Mes parents avaient du mal à comprendre ce choix », raconte Jessica Préalpato.
De renom en renom
L’adolescente se tourne tout de même vers un bac littéraire avant d’intégrer le lycée hôtelier de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). « J’étais plus attirée par la cuisine que par la pâtisserie car même en étant perfectionniste je souhaitais tout apprendre à l’œil », déclare la trentenaire. Après être passée par les cuisines de l’emblématique Chèvre d’Or à Èze (Alpes-Maritimes), puis à l’hostellerie de Plaisance (actuel Hôtel de Pavie) avec Philippe Etchebest du côté de Saint-Émilion (Gironde), elle rejoint les frères Ibarboure à Bidart (Pyrénées-Atlantiques) en tant que commis puis demi-cheffe de partie pâtisserie. L’année suivante, Jessica Préalpato devient la cheffe de partie des cuisines de Frédéric Vardon pour l’ouverture du restaurant le 39V (Paris 8e) avant de devenir la sous-cheffe junior du Park Hyatt Paris-Vendôme (Paris 2e). Un parcours pâtissier exemplaire bousculé à jamais par sa rencontre avec Alain Ducasse et Romain Meder.
En effet, à cette cuisinière originaire de Mont de Marsan (Landes) nous devons avant toute chose une philosophie : la « désseralité ». Ce courant de pensée, devenu aujourd’hui le fil conducteur de son art, est le digne héritier du concept de « naturalité », dont le berceau n’est autre que Le Plaza Athénée (Paris 8e), alors sous la houlette des deux chefs étoilés. Le maître en la matière lui confie le poste de cheffe pâtissière auprès de Romain Meder. « Monsieur Ducasse voulait aller vers une nouvelle façon de pâtisser. On m’a expliqué qu’il fallait travailler sur les céréales, les herbes, les plantes et les fleurs. Je ne savais pas où j’allais mais je trouvais cette idée magnifique », se remémore Jessica Préalpato.
Originalité et récompenses
S’enchaînent de perpétuelles remises en question. Romain Meder la pousse dans ses retranchements en lui conseillant des farines, un fruit ou une plante dont elle n’a jamais entendu parler. Ensemble, dans ce laboratoire géant installé au cœur même du Plaza Athénée, ils créent. « Nous avions du temps dédié à l’exploration. En cuisine, le chef Romain Meder travaillait avec des sauces, des condiments et certains types de cuisson. J’ai donc suivi cette idée. Pour nos desserts, nous nous sommes mis à cuisiner les fruits en les rôtissant par exemple. Nous faisions des desserts avec des produits que personne n’utilisait encore, comme le kaki, le cynorhodon ou l’églantier. Nous avions même réalisé un dessert autour de la bière », précise Jessica Préalpato.
Cette désseralité porte haut l’idée d’une pâtisserie où le produit est sublimé dans toute sa brutalité. Puis vient le temps de la consécration. En 2019, Jessica Préalpato est élue Cheffe pâtissière de l’année au World’s 50 Best Restaurants. « Je ne m’y attendais pas du tout car je n’étais pas médiatisée à l’époque, mais j’étais tout de même très contente d’avoir ce prix. Cela mettait un vrai coup de projecteur sur le travail réalisé au Plaza Athénée : la mise en avant des produits et des producteurs », se livre la cheffe. Puis, en 2020, le Gault & Millau l’auréole du titre de « cheffe pâtissière de l’année ». Elle finit par s’installer quelque temps à Londres, où elle signe le tea time du Carlton Tower Jumeirah avant de retrouver la France.
Aujourd’hui, c’est à l’Hôtel San Régis qu’elle propose sa vision. « Une fois que la naturalité fait partie de nous, il n’y a plus de retour en arrière possible », assure Jessica Préalpato. Dans ce nouvel écrin, elle propose des desserts cuisinés plus familiaux que ceux présentés au Plaza Athénée. En bouche, ces créations, loin des pâtisseries, éveillent des saveurs d’antan, celles des fruits des jardins de nos grands-parents. « J’ai toujours espoir de faire un jour une boutique et je ne lâcherai pas l’idée. J’ai un peu de mal avec les desserts prédressés pendant 6h en vitrine, alors je réfléchis encore et encore. Tout est à développer », conclut Jessica Préalpato.