Terrasses chauffées, une année de transition

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Les bars et les restaurants viennent de boucler une année sans chauffage en terrasse, selon la loi en vigueur depuis le 30 mars 2022. La mairie de Paris, qui a intégré ce dispositif législatif à son Règlement des terrasses et étalages, semble accorder une forme de délai aux CHR. Reste à savoir si cette pédagogie s’appliquera encore longtemps.

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Braseros installés sur une terrasse. Crédits : DR.

Le contexte des crises successives pourrait être à l’origine d’une certaine tolérance de la part de la mairie de Paris, concernant les sanctions relatives à l’usage du chauffage en terrasse. La loi du 22 août 2021 (n° 2021-1104) avait posé le principe de l’interdiction du chauffage en extérieur sur le domaine public. Cette interdiction est entrée en vigueur depuis le décret du 30 mars 2022, il y a tout juste un an. Ce décret précise que seule est autorisée l’utilisation, sur le domaine public, de systèmes de chauffage ou de climatisation dans « un lieu couvert, étanche à l’air et fermé par des parois latérales rigides par nature, sauf décision contraire de l’autorité gestionnaire du domaine ». Il maintient ainsi la liberté aux maires de fixer une interdiction générale à tous les types de terrasses.

Cela donne ainsi la possibilité pour l’autorité gestionnaire du domaine public « d’être plus stricte », confirme une présentation du décret, réalisée par le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. « La question s’est rapidement posée de savoir quelle position la Ville de Paris adopterait, et si elle aggraverait le périmètre d’interdiction fixé par le décret du 30 mars 2002 », explique maître Philippe Meilhac, avocat à la cour, défendant notamment plusieurs exploitants d’affaires à Paris. Finalement, c’est bien une version stricte de l’utilisation du chauffage que la municipalité parisienne a adoptée. Ainsi, l’arrêté du 29 juillet 2022, modifiant le Règlement des terrasses et étalages, réserve l’emploi du chauffage uniquement aux « terrasses couvertes » et « fermées par des parois latérales rigides par nature ».

La lourde réglementation parisienne

Les terrasses chauffées s’avèrent très énergivores. En 2009, des ingénieurs de Carbone 4 (cabinet de conseil spécialisé sur l’adaptation du changement climatique) ont calculé que le bilan carbone quotidien d’une terrasse équipée de quatre braseros au gaz, allumés pendant huit heures, équivalait à celui d’un trajet de 350km en voiture. À partir de ce constat écologique, soutenu également par d’autres scientifiques et des ONG, certaines collectivités avaient pris les devants, avant même l’instauration de la loi de 2021. Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) a été la première ville française à mettre en place cette interdiction du chauffage en terrasse, en février 2012, suivie par Rennes (Ille-et-Vilaine) le 1er janvier 2020. Si des élus écologistes parisiens ont exprimé – durant près de dix ans – leur volonté d’interdire le chauffage en terrasse, aucune réglementation n’a précédé la loi dans la capitale.

En revanche, depuis le décret de mars 2022, la mairie de Paris s’est montrée peu indulgente (dans les textes) quant au respect de cette interdiction. Une délibération présentée au vote du Conseil de Paris, le 11 octobre 2022, est venue alourdir les sanctions. Celle-ci propose que « les chauffages et climatisations, qui seraient installés en violation de l’interdiction sur les terrasses ouvertes et sur les contre-terrasses de toute nature, soient soumis à des droits de voirie à partir de janvier 2023 ». À noter que « cette dernière disposition est complémentaire du régime de contravention prévu par le décret d’application du 30 mars ». Ainsi, les restaurateurs et cafetiers qui ne respectent pas cette interdiction s’exposent à des sanctions administratives (procédure de suspension ou retrait d’autorisation de terrasse), au paiement d’une indemnité d’occupation irrégulière, ainsi qu’à une sanction pénale (amende de 1.500€ ou de 3.000€ en cas de récidive).

Des sanctions à la marge

« Il y a des gens qui continuent d’utiliser du chauffage sur leur terrasse, mais je n’ai pas vu de suspension, confie maître Philippe Meilhac. Il y a eu des tournées d’agents municipaux mais ils n’ont pas pu passer partout. Et concernant les contraventions, je ne connais personne qui prend des amendes de 1.500€. » Selon l’avocat à la cour, le non-respect de la réglementation relative au chauffage en terrasse n’est actuellement pas « un thème de préoccupation » principal pour la mairie de Paris. En revanche, il craint que « les exploitants qui continueront de chauffer » reçoivent « une belle facture d’un montant comparable à celui réclamé depuis dix ans » (du temps où les terrasses chauffées étaient autorisées). Car l’indemnité d’occupation irrégulière représente « une manne financière dont la Ville de Paris ne peut se passer », ajoute Philippe Meilhac.

La municipalité semble en effet être conciliante, pour le moment, quant à la systématisation des contraventions de 5e classe. « On est encore dans une première phase d’explication avant de dégainer les amendes », reconnaît d’ailleurs le service communication de la mairie, dans un article du Monde, publié le 12 mars. Le quotidien d’information précise même qu’aucun « contrôle spécifiquement consacré à l’interdiction des chauffages n’est confié aux agents de police municipale », mais que « la surveillance des terrasses intègre leur mission de patrouille générale ». Ainsi, le gérant de la brasserie Le Cavalier bleu (Paris 4e), faisant face au Centre Pompidou, a récemment été verbalisé de 300€ – loin de l’amende prévue de 1.500€ – pour occupation illégale de l’espace public. Ce cafetier a conservé ses braseros dans le but de pouvoir les réutiliser après l’aménagement de sa future véranda, dont le coût s’élèvera à 60.000€. Malgré les nombreuses sollicitations de L’Auvergnat de Paris, aucune donnée ni aucun chiffre nous a été communiqué par la mairie de Paris sur les sanctions prononcées, le respect du nouveau Règlement des terrasses et étalages, ainsi que sur les travaux engagés par les restaurateurs, pour installer une terrasse fermée et aux normes.

Un manque à gagner

La période hivernale vient tout juste de s’achever. Si les températures n’ont pas été particulièrement basses cette saison en région parisienne, le chauffage en terrasse reste encore ancré chez les clients adeptes des bars et des restaurants. « Nous avons perdu de 15 à 25% de notre chiffre d’affaires sur nos établissements », soutient Pascal Ranger, propriétaire d’une trentaine d’affaires dans différents arrondissements de la capitale. Lorsque ses cafés ou brasseries disposent de plus de 200 places en intérieur, et 100 places en extérieur, ses pertes sont estimées à environ 15% de son CA. Mais selon l’exploitant parisien, le manque à gagner peut s’élever à plus de 25% lorsque ses établissements offrent seulement 50 places en intérieur et une centaine dehors. « Entre l’impact de l’interdiction des terrasses chauffées et la hausse des prix, le métier devient de plus en plus difficile pour les restaurateurs à Paris », remarque Pascal Ranger. Le patron de bars, également actionnaire de la chaîne Indiana Café, devrait engager des travaux d’aménagement de terrasse dans certaines de ses adresses, à la rentrée prochaine. « Une terrasse fermée coûte environ 4.000€ du m2 et la taxe pour une telle terrasse est plus forte, donc je suis en observation. Je vais le faire pour quatre ou cinq établissements placés nord et bien exposés », confie-t-il.

Le manque à gagner, causé par l’absence de chauffage en terrasse, peut avoir des incidences directes sur l’économie d’un commerce de restauration. « En hiver, avec les braseros, on faisait une moyenne de 2.000€ de chiffre d’affaires par soir pour une terrasse de 26 personnes. Maintenant, on est à 200€ les samedis », regrette Nacer Safer, dans les colonnes du Monde. À la suite de cette baisse d’activité, le gérant déclare qu’il a dû procéder à des licenciements. Alors que le printemps s’annonce aujourd’hui, les professionnels du CHR devront s’adapter à la réglementation d’ici à l’hiver prochain, s’ils ne veulent pas subir des sanctions probablement plus fortes.

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