Les Bouillons essaiment en région

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De la cuisine authentique et des prix bas, voilà la recette principale de ces établissements nés à Paris au XIXe siècle. Ils sortent désormais de la capitale et ouvrent progressivement dans les villes de province. Une réussite et une rentabilité fondées sur un cercle vertueux, alliant forte fréquentation et prix bas.

Bouillons
Devanture du Bouillon Flers. Crédit Bouillon Flers.

Le long de la grande plage, à peine quelques mètres en hauteur, juste de quoi s’offrir une vue panoramique sur l’océan. C’est ici qu’un nouveau genre de restaurant vient d’ouvrir ses portes à Biarritz. Outre la vue, la principale qualité de ce lieu, c’est sa carte. À la fois pour les plats proposés – surtout pour les amateurs de cuisine française traditionnelle –, mais avant tout pour le prix. Là où généralement la vue se paye au moment de l’addition, ici tout est fait pour alléger la facture. C’est même la marque de fabrique de ce restaurant. Il s’appuie sur un modèle bien connu des Parisiens et qui commence à se faire une place de choix en région : les bouillons.

Orléans, Montpellier, Marseille, Biarritz, Bayonne… aucune ville ne semble échapper à la tendance ces dernières années. Il s’en ouvrirait une dizaine par an en région. Une tendance qui se justifie en deux points : le désir d’un retour à une cuisine traditionnelle et des prix bas. Dans les villes citées, les bouillons semblent rencontrer un franc succès, ce qui explique que leur modèle économique fonctionne. Ce dernier est fondé sur une chose essentielle : la fréquentation.

Une histoire parisienne du XIXe siècle

Le concept de bouillon est né à Paris au XIXe siècle, avec l’emblématique Chartier. Une cantine ouvrière permettant de se sustenter pour quelques sous, et qui a ensuite fait des émules. Aujourd’hui, c’est hors du périphérique parisien que le concept connaît une forte croissance. Mais entre un bouillon parisien et un bouillon provincial, la recette de la rentabilité ne peut totalement se copier.

Il est donc nécessaire de s’adapter, comme l’expose Jérôme Bergemayou, qui a lancé le Bouillon Armand à Bayonne (64) en 2021. « Le confinement nous a donné le temps de réfléchir, lance-t-il. Je voulais remonter un établissement, mais j’en avais assez de faire toujours la même chose au Pays basque, côte de bœuf, chipirons, jambon. Je suis tombé sur un reportage sur les bouillons. Puis, je me suis posé la question de comment ils faisaient pour être rentables. J’ai un peu fouillé, puis j’ai fait mes calculs avec l’idée de faire venir le concept ici. Tout le pari était de l’adapter à la province. Sur le papier, ça marchait. »

iBouillon Armand
Le Bouillon Armand à Bayonne, ouvert en juin 2021, ne désemplit pas. Crédit Bouillon Armand.

S’adapter à la province

Parmi les nécessaires adaptations, Jérôme Bergemayou met d’abord en avant la question de la capacité d’accueil, loin des grandes salles parisiennes à plusieurs centaines de couverts : « Le bouillon joue sur la masse. Si l’affluence n’est pas au rendez-vous, cela ne fonctionne pas. C’est pour cela que les bouillons sont très grands, notamment à Paris. » Mais impossible pour lui de trouver une salle permettant d’accueillir 300 couverts. Une capacité qui n’aurait d’ailleurs pas de sens en province. Il fait donc le choix d’un lieu plus conventionnel pour son restaurant bayonnais, avec une salle de 50 couverts. Il mise alors sur le remplissage et le taux de rotation. « Sur les 240 jours ouverts au long de l’année, il n’y a que 10 jours où on n’est pas pleins », précise le restaurateur, indiquant également un taux de rotation de 1,5.

Un concept qui semble avoir trouvé son public sur la côte basque, à tel point qu’il en a ouvert un second, à Biarritz cette fois-ci. « Dans un bouillon, il faut accepter de faire peu de marge sur les produits. La rentabilité se fait sur le volume. Pour être rentable, il faut faire de la rotation. Ce n’est pas le genre de restaurant où l’on passe la soirée complète. De plus, généralement les bouillons ne prennent pas de réservation, ce qui permet d’éviter les no shows », explique de son côté Bernard Boutboul, président de Gira, cabinet de conseil et d’accompagnement pour les restaurateurs.

iBouillon Hortense
Face au succès de son établissement bayonnais, Jérôme Bergemayou en a ouvert un second à Biarritz. Crédit Bouillon Hortense.

Du gastronomique au bouillon

Ce dernier a aidé des professionnels à convertir leur restaurant en bouillon, comme récemment à Flers, petite commune normande de 15.000 habitants, où Anaïs et Yohan Lelaizant ont choisi de délaisser leur établissement gastronomique pour ce concept plus accessible. « On les a repositionnés sur un concept de bouillon, ce qui leur permet de faire plus de chiffre d’affaires que quand ils étaient en gastronomique », souligne le président de Gira. Un repositionnement qui semble ravir les propriétaires. « On était installés depuis 2017. On a été étoilés au Michelin, mais on commençait à s’ennuyer. C’était exigeant et on avait fait le tour de la question », note Yohan Lelaizant.

Un nouveau départ pour ce couple de restaurateurs qui les a obligés à revoir leur manière de travailler. « On a dû réorganiser la cuisine et s’équiper en matériel performant pour faire de la quantité. Il faut être rapide à sortir les plats, mais faire le choix du bouillon c’est aussi opter pour plus de simplicité dans l’assiette, ce qui permet d’éliminer certaines manipulations », ajoute-t-il. L’établissement s’est doté d’un outil permettant d’optimiser les temps de service et le plan de salle. Par ailleurs, les équipes ont été bien formées afin d’être « plus rapides et efficaces pour la prise en charge des clients ».

Le couple fait désormais deux services le soir, à 19h et 21h, ce qui permet d’atteindre les 130 couverts, pour à peine 80 auparavant. « Les gens n’ont plus envie de passer trois heures assis au restaurant, constate la propriétaire. La fréquentation fait partie intégrante du processus. C’est avant tout grâce aux clients que le concept marche. »

Miser sur les abats

Autre ficelle de la rentabilité, l’approvisionnement et le choix des produits. Et encore une fois, il est question de volume. « Il faut accepter de baisser un peu sa marge, mais avant tout il faut bien acheter, c’est la base. Cela demande beaucoup de négociations de tarifs avec les fournisseurs et surtout d’acheter en quantité », expose Jérôme Bergemayou, arguant une marge à hauteur de 68 % pour des plats affichés autour de 12€. Un argument partagé par Yohan Lelaizant qui concède devoir faire régulièrement preuve d’imagination pour trouver de nouvelles recettes afin d’éviter les pertes.

En plus de la quantité, les restaurateurs expliquent avoir changé de catégories de produits pour rester compétitifs. « Je ne voulais pas acheter les mêmes produits ni perdre en qualité. J’ai donc arrêté les produits nobles, notamment en termes de viandes et de poissons et je suis parti sur des morceaux moins chers », explique le restaurateur normand. Des changements qui ne lui ont cependant pas empêché d’être couronné de la médaille d’argent du chou farci en 2022.

Comme un souvenir d’enfant

Une stratégie suivie par Frédéric Maurel, restaurateur à Montpellier (34) et gérant du bouillon Maurel. Ancien juriste pénaliste reconverti en restaurateur, il a lancé son établissement en juin dernier avec l’ambition de rendre hommage à la cuisine de grand-mère et à ses souvenirs d’enfance. « On allait souvent au Bouillon Chartier à Paris et je voulais vraiment importer cette cuisine plus traditionnelle et accessible à Montpellier. Accessible ne veut pas dire renier sur la qualité. Le tout, c’est d’être plus sélectif sur le choix des produits, notamment la viande », détaille-t-il.

Pour ce faire, il a fait des abats son axe de rentabilité majeur en proposant ris de veau, têtes d’agneau et autres cœurs de canard à ses clients. « Les abats sont les produits sur lesquels on peut faire une marge intéressante, autour de 5 ou 6, tout en sortant des plats abordables », expose le restaurateur. Même son de cloche du côté du Pays basque, où Jérôme Bergemayou a fait du foie de veau et de l’os à moelle les plats phares de ses établissements. « Le concept même du bouillon est de revenir vers des choses plus simples et authentiques », glisse-t-il.

Os à moelle Bouillon Flers
Au Bouillon Flers, l’os à moelle est un des plats phares de l’établissement. Crédit Bouillon Flers.
Œuf mayo Bouillon Hortense
L’œuf mayo, un des grands classiques des bouillons. Crédit Bouillon Hortense.

Respecter le pouvoir d’achat

Ce retour vers plus d’authenticité a cependant fait douter, au début, le couple de restaurateurs normands. « En venant de la gastronomie étoilée, on a appréhendé la réaction de nos clients, mais la grande majorité nous a suivis. La cuisine gastronomique est parfois partie peut-être loin, on ne sait plus toujours ce qu’on mange. Puis, on se plaint toujours que nos apprentis sont formés à l’école avec les vieilles recettes de la cuisine française. Aujourd’hui on s’en sert », plaisantent-ils.

Malgré un démarrage qu’ils qualifient de compliqué, les restaurateurs ont trouvé leur rythme de croisière et affichent une belle rentabilité grâce à une fréquentation soutenue. « Les clients sont satisfaits, c’est une belle victoire. On touche une nouvelle clientèle et le restaurant est bien plus vivant qu’avant », se félicite Anaïs Lelaizant. Tous qualifient leur établissement de « solution contre l’inflation » et se réjouissent du succès rencontré. « L’engouement autour des bouillons va continuer, car il va de pair avec les problèmes de pouvoir d’achat qui ne sont pas près de se terminer. Ce genre de restaurant nous rend service », conclut Bernard Boutboul.