Entretien exclusif avec Thierry Marx, le président confédéral de l’Umih

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Alors que le congrès de l’Umih se tient ces prochains jours à Angers, son président confédéral Thierry Marx nous a accordé un entretien exclusif.

Thierry Marx
Thierry Marx. Crédit photo : Mathilde de l’Ecotais.

Alors que le congrès du syndicat patronal l’Umih se tient à Angers du 28 au 30 novembre 2023, son président confédéral Thierry Marx nous a accordé un entretien dans lequel il livre sans filtre sa vision du secteur ainsi que les enjeux majeurs à venir. L’occasion également de dresser le bilan de sa première année à la tête du syndicat patronal.

Après un an de présidence à l’Umih, quel bilan tirez-vous ?

J’ai dressé un état des lieux d’abord, puis je me suis concentré sur les engagements pris lors de ma candidature, à savoir renforcer la communication externe et interne pour être plus efficace dans la prise de parole, mais aussi développer l’attractivité de nos métiers et prendre davantage en considération l’impact social et environnemental du secteur. Le constat est là, il faut arrêter de faire un syndicalisme à l’ancienne où l’on grogne sur tout et qui n’aboutit à presque rien. Il ne faut pas se tromper de combat.

Quel est le credo de votre mandat des trois prochaines années ?

Mettons-nous en ordre de marche pour créer un syndicalisme moderne, se hisser au-dessus de la ligne d’horizon. Je milite pour être force de proposition plutôt que de contestation permanente.

Quelle est votre vision de la situation des CHR en France et comment entrevoyez-vous son avenir ?

L’avenir, on ne peut que le regarder de façon positive car il existe une réelle attraction pour la France, pour ce qu’elle représente. Néanmoins, il faut que la confiance revienne dans les investissements. Nous traversons des zones de turbulence que l’on ne doit pas minimiser. Qu’elles soient sanitaires, climatiques ou sociales, ces crises doivent être affrontées. À ce jour, 7.000 entreprises sont en zone à risque, c’est la réalité du terrain. Les syndicats patronaux ont tout intérêt à se regrouper pour mener une action collective, un combat qui sera de vie ou de mort pour certains. On assiste également à une digitalisation de nos métiers, il existe une vraie interrogation sur son coût. Il est judicieux de faire front commun avec les syndicats et le régalien pour peser à Bruxelles en vue de négocier avec les Gafa [géants du web, NDLR]. Nous ne sommes plus dans l’attente d’un monde qui va muter mais nous vivons sa transformation. Il faut réagir et faire preuve de créativité.

Comment avez-vous pensé le congrès de l’Umih qui se déroulera du 28 au 30 novembre à Angers ?

Tourné vers l’avenir ! Il s’agit d’entrevoir ce que l’on va mettre en place les dix années à venir et de poser les fondations. J’ai donc pensé ce congrès autour de plusieurs axes forts : la régulation de nos besoins en énergie, notre impact environnemental et social ainsi que la nécessité de parvenir à un tourisme plus vert et décarboné. Prenons le cas de l’énergie où l’on constate une augmentation des tarifs de 25%. Il est indispensable de trouver des solutions pérennes pour faire des économies. L’une des pistes est de remplacer les équipements qui ne seraient pas écoresponsables, tels les fourneaux, les casseroles ou encore la machine à laver la vaisselle. L’Ademe joue le jeu, et octroie des prêts tout en prodiguant des conseils. Rappelons également qu’à partir du 1er janvier 2024, le tri des biodéchets à la source devient obligatoire. Cela représente un coût non négligeable de 350 à 500 euros chaque mois pour le restaurateur. C’est un gros sujet qui sera abordé lors du congrès car nous avons des solutions à proposer avec des entreprises de bacs à compost.

Quels seront les points forts ?

Les rencontres ! Je pense à André Comte-Sponville, un philosophe que j’adore, mais aussi à des acteurs de la vie économique. Nous aurons comme intervenants des ministres, Christophe Béchu, de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France, mais également Olivia Grégoire, ministre TPE-PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme qui a un discours très franc et direct. Le but de ce congrès est de faire remonter les incohérences rencontrées sur le terrain.

Quels sont vos chantiers prioritaires en 2024 ?

Il est nécessaire de travailler main dans la main avec le GHR avec à sa tête Catherine Querard qui représente ce syndicalisme moderne. Que chacun garde son identité pourquoi pas, mais nous devons peser ensemble sur les combats qui nous rassemblent : l’ubérisation du travail, et le Digital Markets Act, ces plateformes numériques qui sont venues chercher des parts de marché. Prenons le cas d’Airbnb avec le meublé touristique. Nous ne sommes pas contre le progrès, on réclame simplement de l’équité. On ne peut octroyer une niche fiscale d’un côté et taxer lourdement les autres. Nous allons vers un procès pour concurrence déloyale. Pareil pour l’ubérisation du travail, est-ce légal ou non ? Nous réclamons une régulation sur ces questions. Le régalien doit arbitrer et trancher car cela dérégule nos systèmes. Il n’y a plus de logements pour nos saisonniers mais aussi au cœur des villes, ce qui entraîne des conséquences directes sur le recrutement. Quant aux plateformes de livraison de repas, elles empiètent sur nos marges. On doit alors se recentrer sur les volumes, ce qui demande un effort colossal. Les Gafa s’enrichissent et l’artisan devient immensément pauvre. Pour pouvoir discuter avec ces plateformes, il faut peser lourd. Cela se jouera à Bruxelles, pas à Paris. Nous devons être en mesure de réinventer les modèles et créer des solutions adaptées à nos façons de fonctionner. C’est l’enjeu de ces trois prochaines années, contester ne suffira plus.

Alors que la loi immigration est encore en discussion, que pensez-vous de l’intégration actuelle de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur ?

On ne souhaite pas prendre position, mais ne soyons pas hypocrites pour autant. J’ai voulu voir les chiffres. Selon la DARES, 17% des gens qui sont déclarés dans nos métiers sont issus de l’immigration et 147.000 personnes partent en retraite chaque année. Les écoles ne fournissent plus la ressource métier dont on a besoin, c’est un fait. Nous devons nous concentrer sur la formation et sur l’importance de faire monter en compétences. Quant à la loi immigration, elle est une lutte politicienne entre deux camps qui s’opposent. Le débat n’est pas apaisé, or pour aborder cette question cruciale il devrait l’être. Aujourd’hui, nous disposons de la circulaire Valls qui permet de régulariser nos salariés. Toutefois, il faut aller plus loin car elle reste une requête au cas par cas et les préfectures sont souvent débordées. Elle doit nécessairement évoluer.

Que pensez-vous de l’extension des titres-restaurant envisagée par Bercy ?

J’y suis opposé, on vient nous rançonner encore plus. Aujourd’hui, deux tiers de ces titres vont à la grande distribution alors que leurs marges ne s’amenuisent pas contrairement à celles des restaurants. Je m’interroge sur la création d’un nouveau titre alimentaire qui ne viendrait pas contrer l’autre et constituerait un plus pour les gens dont le pouvoir d’achat est impacté. La Première ministre Elisabeth Borne elle-même avait évoqué l’idée d’un chèque alimentaire lors de son discours général à l’Assemblée nationale en 2022. Nous n’avons rien inventé ! L’État et la grande distribution sont en capacité de se mettre d’accord avec les émetteurs de titres. Finalement, l’extension envisagée est la résultante d’un manque d’innovation et de créativité. Les gens qui nous gouvernent reprennent bêtement ce qu’il y a sur les étagères, sans rien créer de neuf. Il ne faut plus l’appeler ticket-restaurant dans ce cas, ne soyons pas hypocrites. La majorité part à la grande distribution, et quasiment plus rien pour nous. On passe pour des imbéciles. Le gouvernement pense que l’on va râler un peu et que la mesure passera quand même. Nous ne plierons pas, je veux créer un système réactif pour être force de combat et de proposition pendant mon mandat.

Le gouvernement veut valoriser le fait-maison en restauration. Quel est votre avis sur le label ?

Il y a 175.000 restaurants en France, nous souhaitons évidemment défendre le fait-maison et la transparence sur les cartes. Encore une fois, il faut que le gouvernement fasse preuve de davantage de créativité. Prenons l’hypothèse qu’une TVA serait accordée à 5,5% dès lors qu’un plat du jour garantit à 100% du fait-maison. Eh bien, croyez-moi, on verrait fleurir le label sur les cartes ! Dans l’année, des centaines de restaurants joueraient le jeu, ce qui irait dans le sens du label qu’ils défendent. D’autant plus que nous disposons tous d’un logiciel de caisse pour le faire. Si on veut garder l’ancrage d’une cuisine du plat du jour, il faut soutenir les établissements. Le cas échéant, ils vont disparaître au profit de la malbouffe. On a tendance à oublier le rôle social de ces lieux où l’on s’assoit et où l’on mange. Ils participent à une vie de quartier et au lien social en ruralité. Aujourd’hui, on s’éloigne de la table, il faut travailler sur l’attractivité.

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