Jean-Virgile Crance, hôtelier premier de cordée

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Le patron du groupement nationale des chaînes hôtelières, nouveau président de la confédération des acteurs du tourisme, ne cache pas son ambition. Il souhaite faire du tourisme une industrie tirée par ses poids lourds, et nous dévoile une partie de son plan pour y parvenir sur la table d’un restaurant de Bercy.

Jean-Virgile Crance, président du GNC et de la CAT.
Jean-Virgile Crance, président du GNC et de la CAT. Crédits : GNC / Au Coeur du CHR.

Nous retrouvons le nouveau président de la confédération des acteurs du tourisme (CAT) à l’Accor Arena. Pour celui qui est aussi président du groupement national des chaînes hôtelières (GNC), ça ne s’invente pas. Au milieu de l’effervescence liée à l’événement BpiFrance Inno Generation auquel il participe, il prend le temps de poser ses idées pour le secteur autour d’une table de restaurant. Le contexte intimiste ne l’empêche pas de se montrer ambitieux. Dialogue social, mutuelles, avenir du secteur… le patron des hôteliers français n’esquive aucune question, et abat ses cartes, par ordre de priorité.

D’abord, l’énergie. Jean-Virgile Crance ne le cache pas : fédérer les acteurs du tourisme autour d’une politique commune n’est pas une mince affaire. Si les membres de l’association se retrouvent autour d’un projet commun et d’une économie – industrie ? – corrélée, il n’empêche que leurs préoccupations directes peuvent diverger, comme c’est le cas pour le sujet de la sobriété énergétique. Les problématiques ne peuvent tout simplement pas être les mêmes entre une compagnie aérienne, un tour operator, un hôtel ou une brasserie. Nonobstant, le président de la CAT se prépare à une réunion à Bercy avec Agnès Pannier-Runacher (ministre de la Transition énergétique), Olivia Grégoire (ministre déléguée au Tourisme et aux TPE-PME) et Elisabeth Borne (Première ministre) en vue de présenter un panel de propositions pour engager le secteur vers plus de résilience énergétique, avec un mantrat en tête : « Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières »; un ruissellement très En marche ! qui ne manquera pas de plaire à la majorité gouvernementale en place, sur la forme.

Sur le fond, sera-t-il suffisant ? « Je pense que nous devons engager un maximum d’actions pour aider à la prise de conscience dans notre secteur. Cela passe par éteindre par exemple les enseignes la nuit dans les hôtels complets, et une multitude de petits gestes qui ensemble, nous permettront d’économiser, d’être plus écoresponsables ». Pour le président du GNC, « c’est la multiplicité des acteurs qui fera le succès d’une prise de conscience, auprès des équipes, mais aussi des clients ». Ces derniers justement représentent la partie la plus complexe du problème, à en croire Jean-Virgile Crance. Aborder l’écoresponsabilité dans une économie de service, quand le client « recherche justement le plus grand confort et le meilleur qu’on peut lui offrir » ? Pas simple. Le spectre de la contrainte, alimenté par l’actualité récente autour du blocage à distance des ballons d’eau chaude par Enedis, ou plus anciennement par la politique du passe sanitaire, n’est « pas encore d’actualité ». « C’est justement en prenant les devants qu’on évitera cela. »

Alors que de plus en plus de convives s’installent dans le restaurant, la conversation bascule sur des thématiques plus larges. Le Tourisme avec un grand « T ». L’ambition ultime de Jean-Virgile Crance est d’en faire l’une des – si ce n’est la – premières industries du pays. Le patron du GNC insiste sur le terme « industrie ». « Les CHR, et le tourisme de manière général doivent en devenir une. Nous nous fixons un objectif : celui de peser d’ici 5 ans pour 10 % du PIB national ». Fantasme, ou réalité ? Reste que le président de la CAT a des arguments à faire valoir auprès des décideurs.

L’État devrait avoir dans ses priorités l’industrie du tourisme.
Jean-Virgile Crance, Président du GNC et de la CAT

« La covid nous a appris deux choses, énonce Jean-Virgile Crance. Elle a permis de montrer à l’État toute l’importance de notre filière, répartie sur toute la France, multi-métier, multi-facette, avec des entreprises de toute taille. Le secteur représente un fort enjeu d’aménagement du territoire, et d’autre part irrigue économiquement tout le pays. Ensuite, la crise, et surtout la belle reprise qui a suivi, ont mis en lumière l’importance sociétale des CHR. Les gens n’ont jamais eu autant envie d’aller en vacances, d’aller au bar, de sortir… Nos métiers n’ont par conséquent jamais eu autant de sens. Cette « industrie » a donc un rôle sociétal essentiel, au-delà de la dynamique de création d’entreprise, de richesse, de développement économique… L’État devrait donc avoir dans ses priorités l’industrie du tourisme. »

Pourtant, aux vues de sa structure en tant que secteur, via notamment des organisations comme la CAT, on pourrait inférer qu’une telle « industrie du tourisme » existe déjà. Plus qu’une idée, elle est palpable dans son organisation, dans sa chaîne de décision et dans ses contraintes partagées, mises en lumière par la crise Covid. Néanmoins, pour Jean-Virgile Crance, il faut aller plus loin. « Le secteur s’est trop longtemps reposé sur une inertie basée sur le patrimoine exceptionnel qui fait rayonner la France. Cela a certes permis de devenir, et de rester la première destination au monde en nombre de clients. Mais nous ne sommes plus la première en valorisation. Nous devons retrouver ce lead mondial sur l’économie touristique. » Et d’argumenter : « En temps de crise, il vaut mieux parfois travailler ses points forts – comme le tourisme – que ses points faibles. »

Des projets, des idées… En attendant de les réaliser, il est temps de revenir à des préoccupations plus urgentes, et pour Jean-Virgile Crance, de remettre sa casquette de président du syndicat des chaînes hôtelières. Comme une petite musique, l’impression monte en cette année de dialogue social – notamment du côté des syndicats ouvriers – que les chaînes hôtelières auraient un intérêt à temporiser les avancées à l’échelle du secteur. L’objectif supposé de cette manœuvre serait de préserver une attractivité – au travers d’accords d’entreprise plus avantageux que les planchers définis par le secteur – du côté des hôteliers, Accor en tête, comme lors des négociations pour la coupure.

Que des entreprises fassent des choix pour avoir un avantage concurrentiel sur le recrutement ? « C’est normal, et il faut que chaque professionnel du secteur puisse ajuster sa politique sociale à la réalité économique de sa boite », répond Jean-Virgile Crance. Que les hôteliers fassent pression pour préserver cet avantage en tant que groupe face aux TPE-PME du secteur ? « Non, c’est entièrement faux, notamment pour le GNC », assène-t-il. La question l’énerve visiblement : « Ce questionnement est l’effet d’une minorité, et je vais vous expliquer pourquoi il est faussé : le GNC représente une majorité de franchisés du groupe Accor et Louvre Hôtel, qui bâtissent donc leur politique salariale, et sociale de manière générale, en autonomie par rapport au franchiseur. Chaque entreprise doit garder une marge de manœuvre, même si nous avons tous un intérêt à mettre en place des politiques communes à la branche sur la question des coupures, sur les minimas salariaux ou le paritarisme dans le régime de santé ».

La perche est tendue, et aussitôt saisie. Nous lui demandons pourquoi le GNC s’est-il aussi farouchement opposé au nouveau contrat proposé par Malakoff-Humanis et Klesia le 28 juin 2022. Sa réponse tient en deux points : relation de confiance, et paritarisme. Il n’a toujours pas digéré « la manière de faire » des deux partenaires historiques du secteur. « Le GNC a été le seul à s’opposer à ce texte lors de la CPPNI du 28 juin, alors que l’Umih n’était que sur la réserve et que le GNI a signé. J’ai demandé un délai de six mois supplémentaire en écrivant aux responsables des deux organismes de prévoyance, qui m’ont opposé une fin de non-recevoir. » Comme beaucoup de professionnels que nous avons interrogés, le patron des hôteliers a été visiblement échaudé par cette forte augmentation « subite », et subie. Dont acte. « Nous nous sommes rapprochés, d’abord en tant que GNC, de Xavier Colonna. Nous l’avons missionné pour qu’il nous trouve une offre alternative autour de 30 euros, que nous avons ensuite proposée à l’ensemble des adhérents de l’Umih. » Pas opposé à l’idée d’une mutuelle commune au secteur, Jean-Virgile Crance monte néanmoins au créneau sur ce dossier. « Je l’ai dit, et répété lors de la dernière réunion avec les autres syndicats salariés et patronaux (le 3 octobre 2022, NDLR), nous ne céderons pas sur le principe du paritarisme. Soit on travaille sérieusement et on peut faire du dialogue social, soit les dés sont pipés. »

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