La progression du digital en restauration

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Le numérique prend de plus en plus d’ampleur dans le secteur CHR. Véritable arme de compétitivité, il peine pourtant à conquérir la profession, qui souffre d’une transition numérique à deux vitesses. Les instances professionnelles s’alarment d’ailleurs de cette fracture et craignent des dommages collatéraux à moyen terme. État des lieux des outils et bonnes pratiques qui permettent aux professionnels de se saisir de la question.

La progression du digital en restauration
La restauration rapide a un temps d’avance sur la restauration traditionnelle en matière de digitalisation. Crédit DR.

L’économie de la foodtech est particulièrement dynamique à l’image de la progression du digital dans la restauration. Les entreprises qui développent les applications enchaînent les levées de fonds, dans tous les domaines. Au cours des derniers mois, l’entreprise franco-allemande Choco, spécialisée dans la numérisation des commandes fournisseurs, finalisait un nouveau tour de table à 25M€. Inpulse, éditeur d’un outil pour la gestion des stocks, levait 7M€ quand Obypay, spécialisé dans l’expérience et la fidélité clients, bouclait un second financement à 1,2M€.

Le but de la digitalisation, c’est de lister les contraintes et de les anéantir.
Jérôme Guilbert, Multirestaurateur à Nantes et élu national au GHR

Cela confirme une tendance à l’accélération du déploiement des technologies dans les CHR, de manière exponentielle. Tous les postes de la restauration et de l’hôtellerie sont désormais couverts par ces innovations, de la prise de réservation en passant par le paiement, la gestion des stocks et de l’hygiène ou les ressources humaines. Toutefois, cette révolution dans la manière de gouverner une entreprise CHR se fait à petits pas. Dans une enquête menée en décembre 2021, le GHR mettait en évidence que 80% des professionnels du secteur avaient initié une forme de transition numérique. Pour autant, plus de la moitié admettaient ne pas être encore au point sur la question.

« Le but de la digitalisation, c’est de lister les contraintes et de les anéantir, estime Jérôme Guilbert, multirestaurateur à Nantes et élu national au GHR. C’est un nouveau mode de travail, et ça fait peur à beaucoup de restaurateurs. Il faut admettre que la mise en place d’une stratégie digitale demande de prendre beaucoup de recul que certains n’ont pas le temps ou pas l’envie. » Cette question du projet numérique et de la progression du digital dans la restauration est pourtant centrale dans la réussite.

iÉcran de commande
Écran de commande en cuisine. Crédit DR.

En effet, la transition doit faire l’objet d’une réelle stratégie pour répondre aux objectifs et aux besoins de l’entreprise. « Il y a aussi une problématique d’équipement, poursuit-il. Ils sont nombreux à s’être découragés parce qu’ils ont opté pour des outils isolés et non connectables. J’ai mis quatre ans à mettre en place un système fiable et interconnecté parce que les solutions étaient en création. Désormais, c’est très facile de trouver des systèmes intégrés. C’est même indispensable parce que sinon le temps qu’on est censé gagner, on le perd à retraiter des données et en faisant réintervenir l’humain. »

La galaxie de la foodtech évolue en effet en « coopétition », comme se plaît à le dire Pierre-Antoine Glandier, directeur général de Libeo, un outil de gestion et de paiement de factures. Sa solution, à l’instar des autres, n’existe pas seule, mais interfacée avec d’autres avec pour support, le plus souvent, un logiciel de caisse ou de traitement des commandes. Une notion que les restaurateurs doivent avoir à l’esprit pour se projeter dans une démarche numérique globale, et non pas morcelée.

L'industrie de la restauration investit de plus en plus dans la technologie et l'automatisation, et nous continuons à répondre à ces besoins.
Laura Stagno, Responsable régionale France et Suisse chez Lightspeed

« L’intégration est une logique prépondérante de notre métier, explique Arthur Broutin, directeur général de Obypay, solution de management de l’expérience et de la fidélité clients. Le marché cherche d’ailleurs aujourd’hui à limiter aussi les interlocuteurs pour le restaurateur. » Même son de cloche du côté de Lightspeed, qui vient de lancer Lightspeed Advanced Insights, un outil capable de recueillir et analyser des données pour aider les restaurants à anticiper. L’industrie de la restauration investit de plus en plus dans la technologie et l’automatisation, et nous continuons à répondre à ces besoins , estime Laura Stagno, responsable régionale France et Suisse chez Lightspeed.

Une transition à deux vitesses

Les dispositifs mis en place pour accompagner la transition numérique de la profession semblent toutefois remplir insuffisamment leurs objectifs. Dernière en date, la plateforme Monparcnum, animée pendant près de deux ans par le GHR et qui a pris fin en juin dernier. « On a eu du mal à mobiliser les restaurateurs dans le parcours d’accompagnement, lâche avec une pointe d’amertume Fabienne Ardouin, coprésidente de la commission Europe et numérique du syndicat. Ils nous opposent qu’ils n’ont pas le temps. On a l’impression qu’ils ne prennent pas le numérique au sérieux. Je comprends que ce soit loin de leurs priorités, qu’ils voient ça comme un coût financier et de temps, mais je crains pour leur compétitivit dans le futur. »

La restauration traditionnelle semble en effet cristalliser l’essentiel du retard accumulé au cours des dernières années vis-à-vis de la progression du digital. L’hôtellerie tire parti d’un temps d’avance global en matière de digitalisation et la restauration rapide, dont la tenue des marges est vitale, a eu moins de mal à s’y mettre. « Il y a clairement une question autour de l’âge des dirigeants, surtout en restauration traditionnelle. La restauration rapide est moins concernée, car plutôt opérée par des plus jeunes qui ont évolué avec cette culture numérique », observe-t-elle.

Les professionnels de la foodtech partagent cette analyse et concèdent diriger leurs efforts à conquérir des dirigeants plutôt jeunes. « On a de grosses perspectives sur les reprises d’affaires par des quarantenaires, souligne Pierre-Antoine Glandier, directeur général de Libeo, un outil de gestion et de paiement des factures. On estime que 10% à 15% du marché sont équipés de nos solutions, nous sommes encore dans une phase de conquête d’une petite frange des professionnels avant le mouvement de masse. Mais on pense qu’à terme, 80% des entreprises travailleront avec ce genre d’outils. »

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Libeo permet la gestion des commandes fournisseurs et des factures associées, la gestion des stocks, autant de points à surveiller pour contrôler les marges. Crédit DR.

Les enjeux pour le secteur sont en effet non négligeables, à de nombreux niveaux. Au-delà de la perte de compétitivité des établissements qui n’engageraient pas une transition numérique profonde, Fabienne Ardouin voit également poindre une aggravation des problèmes de recrutement. « On a déjà vu des salariés refuser d’aller travailler dans une entreprise parce qu’elle a de mauvais avis. Ou encore certains salariés favorisent certains employeurs parce qu’ils utilisent un outil de comptage des heures », glisse-t-elle.

La progression du digital de l’entreprise comme argument de recrutement en restauration, Jérôme Guilbert y croit également. « On retrouve une relation saine entre le manager et ses équipes. Les échanges sont recentrés sur le travail. C’est beaucoup plus constructif. Nos entreprises ont besoin d’un pilotage ultra-dynamique à l’heure actuelle. Et pour pouvoir commander au bon moment et au bon prix, staffer au bon moment, cela nécessite le digital. Avec l’IA, il y aura un autre virage, et celui-là, il se fera au frein à main. Et il ne faudra pas sortir de la route », assure-t-il. De même, grâce à son logiciel tout-en-un, Lightspeed permet également de retenir le personnel. « Ce nouvel outil analytique permet d’établir un bilan des performances individuelles de chaque serveur, en mettant en lumière leurs points forts et leurs faiblesses », détaille l’entreprise.

Passer à l’action

Les professionnels s’accordent sur le besoin d’harmoniser les pratiques en matière d’outils numériques. « Il ne faut pas oublier que le restaurateur est avant tout restaurateur, pas ingénieur en intégration de technologies digitales », réagit Arthur Broutin de chez Obypay.

Le besoin de simplicité, à la fois dans l’usage quotidien et dans la lecture des données recueillies, est prépondérant. « Les offres actuelles sont peut-être encore un peu pointues pour parler à tout le monde, estime Jérôme Guilbert. Mais la digitalisation peut aussi amener du fun dans nos métiers, avec un côté ludique. Cela ramène de la fluidité dans le travail mais aussi dans la gestion du temps. Aujourd’hui, 15 à 20% du temps de gestion par les cadres d’un restaurant peut se faire en dehors de celui-ci. » Bien que la plateforme monparcnum.fr n’offre plus d’accompagnement, elle sera bientôt perfectionnée pour continuer de servir de camp de base pour le choix de la solution appropriée.

Le potentiel des intelligences artificielles

L’intelligence artificielle dans l’hôtellerie et la restauration n’a rien de la science-fiction. C’est une réalité quotidienne dans la prise de décision ou la mise en place de stratégies pour un nombre croissant d’entreprises du secteur. Inpulse, spécialiste de la gestion des stocks et des coûts matière, vient de publier un livre blanc sur la question. Il décortique par le menu le fonctionnement et les applications possibles en restauration des différents types d’intelligences artificielles: conversationnelle et générative d’écrits, prédictive ou encore générative d’image. Une introduction simple et concrète pour envisager son déploiement dans son entreprise.