Regards croisés, SDI et Food Service Vision

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Conjoncture économique incertaine, moral des Français en repli, tensions géopolitiques… mais qu’en est-il pour le CHR à la veille des JOP ? Rencontres avec Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants et des TPE, et de François Blouin, président fondateur de Food Service Vision.

SDI Food Service Vision
Jean-Guilhem Darré Délégué général du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI), à gauche, et François Blouin Président fondateur de Food Service Vision, à droite. Crédit DR.

Jean-Guilhem Darré Délégué général du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI) et François Blouin Président fondateur de Food Service Vision ont échangé avec la Revue des Comptoirs à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Revue des comptoirs : Dans quel état d’esprit sont aujourd’hui les TPE-PME ?

Jean-Guilhem Darré : Notre dernière enquête intitulée « États des lieux des TPE au T1 2024 » réalisée en avril [1 782 répondants, NDLR] fait ressortir un état d’esprit négatif. 86% d’entre eux se déclarent inquiets. Néanmoins, nos adhérents demeurent résilients. Ils se battent quotidiennement pour leur entreprise ; c’est leur bébé ! Néanmoins, dans une économie en crise, ils sont les premiers à la subir car ils sont en contact direct avec le terrain. Ils ressentent immédiatement les signaux faibles qu’ils soient bons ou mauvais, comme c’est le cas actuellement.

RDC : La restauration est-elle plus touchée que d’autres activités ?

J.-G. D. : Beaucoup de restaurateurs rencontrent des problèmes de trésorerie par rapport aux autres secteurs. N’oublions pas qu’ils étaient en première ligne lors des différents confinements avec la fermeture de leur établissement. Depuis la Covid, ils subissent de fortes hausses de l’énergie, gaz et électricité. À cela s’ajoute une augmentation des matières premières. Sans oublier celle concernant la grille des rémunérations… Parallèlement, les ménages réduisent dépenses plaisir face à la crise et sortent moins, entre autres, au restaurant.

RDC : Quelles sont les trois grandes difficultés auxquelles ils sont confrontés ?

J.-G. D. : La première d’entre elles est le PGE [Prêt garanti par l’État, NDLR]. Globalement, ils ont été satisfaits des mesures prises à l’époque par le Gouvernement pour accompagner le redémarrage du secteur le jour où il interviendrait. Seulement, la reprise ne s’est pas déroulée comme prévu, du fait, notamment, de la guerre en Ukraine. En moyenne, une TPE rembourse 2.000€ chaque mois. Le PGE est devenu aujourd’hui un vrai fardeau alors qu’il était auparavant une bouée de sauvetage. Qui plus est, ce prêt est une dette d’où certaines réticences de la part des banques à accorder de nouveaux crédits. Cependant, en examinant les chiffres de la Banque de France, les cessations d’entreprises dues au PGE sont peu nombreuses.

Cela veut dire que les chefs d’entreprise réduisent à la fois leurs salaires et les investissements. Ils ne remettent pas en cause le remboursement; ils demandent simplement un étalement supplémentaire de deux ans pour atteindre les six ans au lieu de quatre actuellement. Le tout sans passer par le médiateur (et après un bref silence). Ce que nous vivons là ressemble au choc pétrolier des années 1973-1974. Nous ne reviendrons jamais aux prix pratiqués en 2019. La deuxième difficulté concerne le coût de l’énergie. L’année dernière, le Gouvernement avait mis en place un amortisseur « électricité » pour le TPE-PME afin de les protéger des contrats à prix haut. Mais le seuil d’engagement de la part énergie de la facture a été relevé à 250€/MWh, contre 180€/MWh en 2023. D’où un problème de distorsion de concurrence.

RDC : Et la troisième difficulté ?

J.-G. D. : Le fait qu’il n’existe pas de visibilité quant à l’avenir, même à court terme. 76% de nos adhérents s’attendent à une hausse des taxes; le Gouvernement a besoin d’argent. Et nous entrons dans une spirale peu vertueuse. Les entrepreneurs freinent les embauches et les investissements, ce qui aura des conséquences sur l’économie. Il nous faut rétablir la confiance. Néanmoins, ils sont passionnés par leur métier, ce qui leur permet de résister. Et surtout ils se sentent libres !

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Revue des comptoirs : Dans quel état se trouve la restauration à la veille des JOP ?

François Blouin : Si nous remontons à l’année 2023, celle-ci a été la plus élevée en valeur pour l’ensemble de la restauration avec une hausse de 9%, détrônant ainsi le précédent record de 2019. Progression qu’il faut tout de même nuancer: une augmentation des visiteurs de seulement 2%, mais de 7% pour l’inflation. Néanmoins, depuis la Covid, le marché a été profondément transformé. Ainsi, le rapport au temps de travail a modifié la dynamique des flux dans la restauration. Durant la pandémie, les boulangeries-pâtisseries ont enregistré de belles performances, considérées comme des commerces essentiels, elles ont bénéficié d’un report de consommation, notamment sur la partie snacking (sandwicherie, etc.).

Dans le même temps, les restaurants d’entreprise subissaient sans surprise une chute de leur chiffre d’affaires, avant de connaître un redémarrage en 2023. Nous avons également connu une révolution des espaces et des paysages au sein des grandes métropoles et Paris. Et dans la prolongation des deux précédentes années, 2024 devrait probablement battre de nouveaux records car la clientèle est toujours là, 89% des Français ont toujours envie d’aller au restaurant. En revanche, si la clientèle aisée, active et urbaine répond présente, des tensions existent au sein des classes moyennes, qui réduisent leurs visites dans les restaurants. Ainsi au 1er trimestre, la restauration commerciale a progressé de 2% en valeur, impactée par une météo défavorable, la crise agricole et des vacances scolaires décalées.

D’un autre côté, le taux de télétravail était de 16% chez les actifs en février 2024 contre 30% durant la Covid, contribuant à la fréquentation des circuits hors domicile sur le midi-semaine. En ce qui concerne la consommation professionnelle (événements, salons, tourisme d’affaires), ce marché a retrouvé des niveaux proches de 2019, porteur pour le marché de la restauration.

RDC : Qu’apporteront réellement les JOP au CHR ?

F. B. : Une période de visibilité extraordinaire pour notre pays. Selon « Paris je t’aime », 11,3 millions de visiteurs sont attendus, dont environ 1,5 million de touristes étrangers durant 15 jours. D’ores et déjà, avant même que les JOP aient véritablement débutés, du chiffre d’affaires a été généré avec la mise en place des sites, la réalisation de différents travaux, etc. Tout cela crée des flux professionnels significatifs pour le CHR. Il en ira de même pendant les compétitions. Les Jeux vont générer de nombreux emplois de service, notamment dans la logistique, la sécurité, et bien entendu la restauration et l’hôtellerie. Les zones de passage, d’hébergement et celles sportives seront les grandes gagnantes.

RDC : Il n’y aura pas que des gagnants

F. B. : Effectivement, certains acteurs et secteurs connaîtront des difficultés, principalement ceux installés dans les zones rouges où la sécurité sera très forte. Les accès seront contraints et il faut s’attendre, alors, à des baisses de chiffre d’affaires. De plus, le Gouvernement incite les entreprises à développer le télétravail pendant cette période. Résultat, des zones de bureaux, comme La Défense et Opéra, devaient subir une diminution de leur activité. Par ailleurs, pour la partie hôtelière, les hôtels 4 et 5 étoiles notamment bénéficieront pleinement des JOP et seront le lieu d’un nombre important d’événements, que ce soit de la part des sponsors ou non. Pour la partie loisirs, 4,5 millions de visiteurs venus de nos régions et 5,3 millions de Franciliens sont attendus.

Une belle dynamique s’annonce là aussi ! C’est l’effet TGV. Les villes situées à moins de 2 h de train pourront profiter du flux de visiteurs, privilégiant cette option plus économique. Tous ces flux sont très positifs pour le CHR, le « travel retail », le snacking et la restauration rapide, autrement dit, la consommation nomade.

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